Les symphonies d’Emilie Mayer 

par

Emilie Mayer (1812-1883) : Symphonies n° 3 en do majeur « Militaire » et n° 6 en mi majeur. Orchestre philharmonique de Bremerhaven, direction Marc Niemann. 2021. Notice en allemand et en anglais. 69.30. Hänssler Classic HC22016.

La comparaison est sans doute osée, mais elle a été faite par des contemporains, et s’est prolongée au fil du temps : Emilie Mayer, née à Friedland, cité du centre de l’Allemagne dans le Land de Mecklembourg, est la compositrice qui a été le plus couronnée de succès lors de l’ère romantique, l’appellation de « Beethoven au féminin » lui étant alors attribuée. C’est sans doute dû au fait qu’au-delà de ses lieder, de ses pages pour piano ou de sa musique de chambre, Emilie a composé huit symphonies entre 1847 et 1862, ainsi que des ouvertures, dont celle de Faust en 1880. 

Fille d’une mère décédée jeune et d’un chimiste qui se suicide lorsqu’elle atteint ses 28 ans, la jeune femme, qui a pris des leçons d’orgue et de piano mais n’a jusqu’alors composé que pour elle-même, prend la décision de se perfectionner en étudiant avec Carl Loewe à Stettin, ville qui deviendra polonaise après la Seconde Guerre mondiale. On la retrouve ensuite à Berlin auprès d’Adolf Bernhard Marx (1795-1866), auteur d’une biographie de Beethoven dont il est un ardent défenseur, et éditeur de Haendel et de Bach ; elle étudie avec lui la fugue et le contrepoint. Un spécialiste de la musique militaire, Wilhem Wieprecht (1802-1872), la perfectionne dans le domaine de l’orchestration. Les pages symphoniques citées plus avant ont été bien accueillies outre-Rhin et dans certaines villes d’Europe, en particulier l’ouverture Faust. Mais après son décès, Emilie Mayer, qui ne s’est pas mariée et n’a pas laissé de descendance, est tombée dans l’oubli. Ce n’est qu’au cours de notre siècle qu’elle a été remise à l’honneur. 

Le label CPO a proposé un quatuor en 2000 et des trios en 2017, ainsi que les deux premières symphonies en 2020, dirigées par Leo McFall à la tête de la Philharmonie de la NDR. La Symphonie n° 4, avec d’autres œuvres, est parue chez Capriccio en 2018, la Philharmonie Neubrandenburg étant menée par Stefan Malzew ; quant à la Symphonie n° 5, elle a fait l’objet, dès 2007, couplée avec des pages de Fanny Hensel/Mendelssohn et de Luisa Adolpha Le Beau, d’un enregistrement chez Dreyer Galdo par la Kammersymfonie Berlin de Jürgen Bruns. Vient s’y ajouter aujourd’hui une production Hänssler, qui propose les Symphonies 3 et 6, signalées dans la notice comme des premières discographiques. La Troisième vient cependant d’être gravée par Mark Rohde à la tête de la Mecklenburgische Staatskapelle Schwerin pour MDG. Si nos calculs sont bons, il ne manque donc plus que les deux dernières de la série pour que les huit symphonies d’Emilie Mayer soient disponibles. 

Selon la notice, la Symphonie n° 3 « Militaire » de 1850 pourrait être une réminiscence des événements révolutionnaires de 1848, qui se sont déroulés à Berlin où la compositrice séjournait alors. Mais une inspiration due à l’influence de Wilhelm Wieprecht, qui fut directeur de fanfares militaires de premier plan de la garde prussienne et pimenta les trompettes et les coups de canon de La Victoire de Wellington de Beethoven, est plus probable. A l’audition, le souvenir de la Symphonie n° 100 de Haydn, autre « Militaire », s’impose, avec de brillants effets percussifs. Une introduction Adagio précède un Allegro con brio qui allie les aspects dynamiques à la noblesse de ton. La mélodie du second mouvement, Un poco Adagio, élégant dans son langage décoratif, propose un beau solo de violoncelle, avant un Scherzo : Allegro qui regarde en effet vers Beethoven. Le Finale, qui débute, comme le premier mouvement, par une introduction paisible, justifie bientôt son sous-titre précis de « militaire » par un développement de plus en plus glorieux, qui fait la part belle aux cuivres. Cette partition à l’orchestration vigoureuse a marqué la première reconnaissance publique d’Emilie Mayer lorsque son mentor Wilhelm Wieprecht la dirigea lors du concert du 21 avril 1850.

La Symphonie n° 6 est créée le 25 avril 1853, au Schauspielhaus, devant la famille royale de Prusse, toujours sous la baguette de Wieprecht. Elle situe tout à fait Emilie Mayer dans la tradition beethovenienne, notamment dans sa structure qui propose une Marche funèbre assez solennelle en guise de second mouvement. La compositrice manie l’expressivité, le rythme et la grandeur avec habileté, ce qui n’est pas sans rappeler aussi des accents mendelssohniens que l’on découvre déjà dans sa Symphonie n° 2. En réalité, l’inspiration de notre « Beethoven au féminin » se nourrit d’une tradition qui a été assimilée avec intelligence et talent. Une réelle imagination musicale, chaleureuse et généreuse, vient s’y ajouter. 

La Philharmonie de Bremerhaven, dont les origines remontent à 1827 et que des personnalités comme Arthur Nikisch ou Richard Strauss ont dirigée, est l’orchestre principal de cette cité qui constitue l’avant-port de la ville de Brême. Marc Niemann (°1973) en est le directeur musical depuis 2014. A la tête de ses troupes, il offre de ces deux symphonies d’Emilie Mayer une interprétation engagée, qui sert à merveille deux partitions que l’on découvrira avec l’indiscutable intérêt qu’elles méritent.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 9

Jean Lacroix



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