L'Histoire de Manon à La Scala

par

Svetlana Zakharova et Roberto Bolle © Brescia e Amisano / Teatro alla Scala

Depuis avril 1994, le Corps de ballet de la Scala a inclus à son répertoire L’Histoire de Manon conçu, vingt ans auparavant, par le grand chorégraphe écossais Kenneth MacMillan pour Covent Garden. Pour la sixième fois, la scène milanaise reprend la production sous la supervision de Julie Lincoln. La musique en est due à la plume de Jules Massenet, sans utiliser aucun extrait de Manon ou de L’Histoire de Manon : elle recourt aux Scènes pour orchestre, aux mélodies et à des pages des derniers ouvrages tels que Cendrillon, Grisélidis, Ariane, Don Quichotte et Cléopâtre, selon un arrangement et une orchestration de Martin Yates. Ici, elle est magistralement valorisée par la baguette de David Coleman, expert en la matière, que l’on a souvent applaudi à l’Opéra de Paris.
Le soir du 14 novembre, l’émotion était à son paroxysme au lever de rideau : au milieu de la troupe, des solistes et des machinistes, le surintendant, Alexander Pereira, a pris la parole en témoignant du soutien de tous face aux victimes du carnage parisien et en se demandant comment réagirait le public de ce théâtre si une kalachnikov tirait à bout portant sur une centaine de spectateurs. Puis une minute de silence a été observée.
Finalement, sous le signe d’un palpable bouleversement, le spectacle s’est déroulé dans les somptueux décors et costumes de Nicholas Georgiadis. En vedette, le couple mythique constitué par Svetlana Zakharova et Roberto Bolle, affichant l’osmose et la complicité de deux artistes qui, régulièrement, travaillent ensemble. Aujourd’hui première ballerine du Bolchoi et étoile régulière à la Scala depuis la saison 2007-2008, elle est une Manon à la technique chevronnée, passant insensiblement de l’espièglerie du premier tableau à la coquetterie de la femme entretenue et au tragique de la déchéance. Après onze ans de carrière de danseur vedette adulé du public, Roberto Bolle exerce toujours une indéniable fascination sur ses admirateurs conquis d’avance : à plus de quarante ans, il peut laisser de côté les acrobaties techniques pour privilégier l’expression dramatique d’un Chevalier des Grieux qui s’avère profondément touchant. Spécialisé dans les rôles de caractère, Antonino Sutera fait de Lescaut un soudard sans foi, noyant sa vilenie dans l’alcool et la galanterie. Alessandro Grillo a les bonnes manières d’un Monsieur G.M. (à la fois Guillot de Morfontaine et Brétigny) sans scrupule pour parvenir à ses fins. Deborah Gismondi joue avec roublardise Madame, la tenancière de maison close, quand Alessandra Vassallo (l’amante de Lescaut) affiche ouvertement son inclination pour un débauché. Mick Zeni campe un gardien de prison mêlant concupiscence et sadisme, quand Valerio Lunadei a la cocasserie provocante du chef des mendiants. Et les nombreux solistes de second plan et la troupe font le prix de cette production de qualité qui est saluée par d’innombrables rappels.
Paul-André Demierre
Milan, La Scala, le 14 novembre 2015

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