L'Orchestre philharmonique de Radio-France sous pavillon tchèque

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Jeudi 12 décembre, vingt heures, Maison de la Radio. Le froid mord, et les fidèles de l'avenue du Président Kennedy ne suffisent pas à remplir les rangs de l'auditorium. Un charmant programme attendait pourtant les plus courageux : les deux Sérénades de Dvořák, et la pièce Sanctuaires – aux abysses des grottes ornées, concerto pour violon, créée ce soir-là pour le public français par son compositeur, Kryštof Mařatka.

Menu menuet 

Vous connaissiez le Dvořák symphonique, démonstratif, grandiose, épique ? Voici le Dvořák guilleret, badin, innocent de la Sérénade pour dix instruments à vent, violoncelle et contrebasse en ré mineur op. 44 (1878).  Une performance de musique de chambre divertissante, mais pas extatique. On se pencherait certes au balcon pour tendre l'oreille, mais sans doute pas trop longtemps. On trouvera à cette pièce mille qualités, à commencer par ses accents champêtres et rêveurs. On lui reprochera aussi son cheminement et ses lassantes ritournelles. L'orchestre, en formation réduite et sans chef, nous donne quelques belles joies (le détaché du hautbois !), des homorythmies soignées, des timbres bien mêlés -avec tout de même de légères frustrations côté bassons et cuivres. On s'amuse de quelques thèmes (par exemple dans le « Moderato quasi marcia »), de passages plus frénétiques, ou de quelques frémissements de trilles, çà et là. Mais en bref, les douze musiciens peinent à nous emmener. 

Ça va être tout noir

Qu'y a-t-il de plus agaçant : un voisin qui tousse pendant un pianissimo ? une tragique sonnerie de téléphone pendant un solo ? un rang dérangé par un retardataire ? Rien de tout ça. Le plus grave, nous l'avons eu ce soir : une intervention parlée. Longue. En guise de changement de plateau (ou plutôt, pour maquiller maladroitement ce dernier), le public eut droit à une interview live de Kryštof Mařatka, qui, soumis au supplice d’une série de questions relativement pertinentes (créer ? écrire ? pourquoi ? comment ?), accoucha d’une donnée intéressante pour cet entracte à moitié avoué : une courte démonstration de flûte préhistorique (avec un instrument reconstitué). Intéressante, car le compositeur est fasciné par les formes de musique archaïques. Et il est vrai que Sanctuaires demandait sans doute quelques clés d'analyse pour être compris. Mais notez que je dis « compris ». Pas « apprécié ». Voilà pourquoi. La pièce est un concerto pour violon, composé de cinq mouvements. Chacun d'entre eux s'appuie lui-même sur l'impression qu'une grotte française et ses peintures ont donné au compositeur (pour être précis, les grottes d’Arcy-sur-Cure, de Pech Merle, Lascaux, Isturitz, Chauvet). Rangez vite vos Hébrides, vos rois de la montagne et autres cavernes wagnériennes : loin de l'objet mythico-romantique, la pièce se présente comme une longue litanie dissonante et véloce, où le violon se débat furieusement avec un orchestre réduit. Étonnamment, cette partition de soliste confère une cohérence à un ensemble volontairement cacophonique et erratique. L'aspect concertant est ainsi ingénieusement déployé – surtout dans le premier mouvement, « Mégalocéros », particulièrement ténébreux, qui réussit à nous faire entrevoir cette intuition archaïque et primordiale qui a guidé le compositeur. Mais, malgré l'immense virtuosité du soliste Amaury Coeytaux, le manque d'enjeu et les manœuvres mimétiques plus ou moins subtiles qui occupent l’orchestre finissent par lasser. Des galets, des jeux de bruitage, des cris... déjà vu !  

De l'antédiluvien au nouveau monde

L’orchestre philharmonique de Radio France n’avait pourtant pas dit son dernier mot, et il a bien fait. Entracte, puis rebelote, avec la Sérénade pour cordes en mi majeur, op. 22 (1876), de Dvořák. Cette fois, on ne fit entrer que les cordes. Cette fois, c’était la bonne. La pièce ravit le public par sa délicatesse. L'ensemble de musiciens se montra parfaitement homogène, très expressif, avec une attention scrupuleuse pour les nuances, et nous tint en haleine avec une nonchalance appréciable.  Il nous livra le thème du deuxième mouvement, « Tempo di valse », avec panache -pour ne citer que lui. Bref, on en eut pour notre Dvořák, puisque tout y était : le charme, la délicatesse, les cavalcades, la mélancolie sans sensiblerie, l’emphase. 

Bigre, voilà une soirée qui finit bien.  

Paris, Radio-France, 12 décembre 2025

Crédits photographiques : Philippe Stirnweiss

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