L’orgue de Beethoven et quelques contemporains
The Organ in the Age of Beethoven. Andrea Luchesi (1741-1801) : Sonate en ut. C. Guillaume Lasceux (1740-1831) : Symphonie concertante en sol (offertoire). Christian Gottlob Neefe (1748-1798) : Sonate en ré mineur. Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Fugue en ré WoO 31 ; Fugue en ré mineur Hess 238-2 ; Adagio assai, Allegro non più molto WoO33. Justin Heinrich Knecht (1752-1817) : Andantino et six variations en fa ; Cantabile en mi bémol. Johann Georg Albrechtsberger (1736-1809) : Fugue en mi mineur. Johann Baptist Vanhal (1739-1813) : Prélude en ut. Giovanni Morandi (1777-1856) : Elevazione en mi bémol. Franz Schubert (1797-1828) : Fugue en mi mineur, opus posthume 152. Eugenio Maria Fagiani, orgue de l’église San Michele de Breno (Italie). Mai 2020. Livret en anglais. TT 77’43 Da Vinci Classics C00337
La charnière entre le classicisme et le romantisme n’est pas la mieux documentée au disque, et n’est sans doute pas la partie la plus inspirée du répertoire pour tuyaux. On n’osera pas écrire qu’entre Bach et Mendelssohn, la transition s’abaisse à l’étiage, mais comment évaluer la contribution de Mozart, Haydn, ou Beethoven à l’aune de leurs chefs d’œuvre symphoniques, chambristes, vocaux ? Le tout jeune Ludwig étudia l’orgue dans sa Bonn natale, où il obtint un de ses rares postes officiels : à la Chapelle de la Cour, il succéda en 1784 à Neefe, son professeur en la matière ! La pochette du CD reproduit le buffet de la Remigiuskirche (avant son bombardement en 1944) où il officiait à la messe matinale quand il avait douze ans. Son attachement à l’instrument perdura durant sa carrière, puisqu’il improvisait encore en 1821, à l’église Saint Jean de Döbling.
En 1967, sous les micros d’André Charlin, Wilhelm Krumbach illustrait ce pan méconnu de la production beethovenienne, auquel Maria Magdalena Kaczor consacra un magnifique SACD en avril 2015 chez Aeolus. On retrouve certaines de ces pièces dans diverses anthologies, telle celle consacrée à « l’horloge à flûte » (Suite für eine mechanische Orgel ; Fünf Stücke für Flötenuhr) par Hans-Ola Ericsson (Bis, 1995). Plus largement, on peut se faire idée de l’amont de l’époque dans German Classicism d’Arturo Sacchetti (Arts, 1994) ou The Enlightenment Influence enregistré par Iain Quinn (Regent, 2015).
Le présent CD aborde quelques pages (pas toutes) que Beethoven a écrites, dans chacune des deux esthétiques majeures après Bach : le courant archaïque qui lui survécut via son élève Ludwig Krebs, le courant galant, qui s’émancipe avec les fils Wilhelm Friedemann et Carl Philipp Emanuel. L’intérêt de ce programme, voire son originalité, est de s’ouvrir à des confrères que connut Beethoven (Schubert, Albrechtsberger qui lui donna des leçons de contrepoint) et de ne pas se limiter au catalogue austro-allemand. Le panorama aborde ainsi la France (Guillaume Lasceux) et l’Italie (Luchesi, Morandi), qui s’appropria à sa manière le style galant. Dans l’abondant livret qu’il a signé, Eugenio Maria Fagiani plante ce décor sans qu’on comprenne toujours, au-delà de la concomitance, ce qui peut relier les compositeurs qu’il a choisis pour son anthologie. De la fringante Sonate de Luchesi jusqu’à l’austère fugue de Schubert, sur le plenum, l’orgue de l’église San Michele (construit en 2000, 26 jeux sur deux claviers & pédalier) révèle un tempérament racé mais peut-être pas à la hauteur des enjeux de séduction. La captation ne manque pas de présence, mais on souhaiterait davantage de netteté et de transparence. Dans ce cadre, le mordant des principaux, la douceur des flûtes peuvent-ils rivaliser avec l’empathie qui s’exprime par exemple sur certaines consoles melliflues de Carinthie ou du Tyrol ? La question se pose notamment pour les pages dérivées de l’Empfindsamkeit, et celles pour Flötenuhr. En tout cas, l’interprète italien impressionne par son charisme, guide son récital avec vivacité et sensibilité, sait darder quelques ornementations fulgurantes, s’attendrir quand il faut : le résultat présente bien des charmes et des attraits.
Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 6-7 – Interprétation : 8
Christophe Steyne