Louise Alder et la mélodie française : peut mieux faire

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Chère Nuit/French Songs. Oeuvres de Maurice Ravel (1875-1937), ; Olivier Messiaen (1908-1992) ; Claude Debussy (1862-1918) ; Pauline Viardot (1821-1910) ; Cécile Chaminade (1857-1944) ; Joseph Canteloube (1879-1957) ; Alfred Bachelet (1864-1944) ; Francis Poulenc (1899-1963 ; Erik Satie (1866-1925) ; Maurice Yvain (1891-1965).Louise Alder (soprano), Joseph Middleton (piano). 2021-DDD-80’10-Textes de présentation en français, anglais et allemand- Chandos CHAN 20222

Voici un disque qui suscite directement l’intérêt avant même d’introduire le cd dans le lecteur. Imaginez : un enregistrement au minutage extrêmement généreux offrant une superbe anthologie de la mélodie française s’étendant sur plus de trois-quarts de siècle, très exactement de 1866 à 1943, de Pauline Viardot à Maurice Yvain. On y retrouve les noms qu’on attendait (Debussy, Ravel, Poulenc), ceux qu’on attendait moins (Chaminade, Satie, Messiaen, Canteloube) voire pas du tout (Viardot, Bachelet, Yvain).

Qui plus est, cette incursion dans ce répertoire encore trop souvent négligé est le fait d’une jeune soprano britannique en train de se tailler une belle réputation outre-Manche tant dans l’opéra qu’en récital. Si on ajoute qu’elle a la chance de disposer d’un partenaire de toute première force en la personne du pianiste Joseph Middleton, on attend forcément beaucoup de Louise Alder dans un programme si finement élaboré. 

Et de fait, dès le Shéhérazade de Ravel qui ouvre le programme, la chanteuse fait entendre de belles qualités : si la voix n’est pas la plus crémeuse qui soit, on apprécie la technique sûre, le timbre pur et puissant au beau métal mais sans dureté (et on se dit qu’elle n’aurait aucun problème à dominer l’orchestre de la version originale dont on regrette ici les couleurs enchanteresses en dépit du beau travail de Joseph Middleton). Cependant, si on apprécie le soin porté à la conduite vocale, on en vient assez rapidement à constater une expression assez généralisée. Ainsi, si Louise Alder fait bien sentir la nostalgie d’Asie, elle semble moins sensible à l’exotisme parfois macabre du poème de Tristan Klingsor, comme d’ailleurs à la dimension onirique et à la curiosité parfois malsaine du texte. De même, sa saine franchise est assez peu en accord avec la sensualité un peu trouble de La Flûte enchantée et de L’Indifférent. Mais on constate ici un problème qui ne cessera de se poser tout au long de ce programme, à savoir la diction de la chanteuse qui savonne quasi systématiquement les consonnes, de sorte qu’on en arrive à cette étrange impression d’une artiste qui chante très bien, mais ne dit pas. 

Ceci ne l’empêche pas dans les Trois mélodies de Messiaen de faire entendre une ligne de chant impeccable et une réelle sincérité dans l’expression.

Le problème de la diction se pose avec une acuité particulière dans les mélodies de Debussy où les poèmes de Mallarmé (Apparition) et Verlaine (En sourdine) exigent que le texte ressorte parfaitement, ce qui n’est pas le cas ici. Dans La Romance d’Ariel, Louise Alder fait entendre des vocalises très sûres et on se dit qu’elle pourrait bien faire une belle Mélisande.

Si les mélodies de Pauline Viardot et de Cécile Chaminade sentent le salon (auquel elles étaient après tout destinées), on ne peut nier qu’il s’agit de compositrices au réel talent. Chaminade mérite certainement mieux que le semi-oubli dans lequel elle est tombée, car si sa musique est d’un abord facile, elle évite toujours les pièges de la banalité. Dans la Havanaise de Viardot, Alder -qui traite ce répertoire avec le sérieux qu’il mérite- fait montre d’un beau legato malheureusement obtenu par le « gommage » des consonnes, alors que dans la Ronde d’amour de Chaminade le débit rapide exigé ne lui pose aucun problème.

La soprano est à son meilleur dans le réjouissant O up! de Canteloube dont elle saisit très bien l’humour et le côté faux-naïf. La Chère nuit du méconnu Alfred Bachelet est une véritable révélation: voici une très belle mélodie wagnérienne d’un auteur de réel talent dont on aimerait volontiers entendre d’autres oeuvres.

Dans le groupe de mélodies de Poulenc, Louise Alder aborde Les Chemins de l’amour d’une façon contestable, tirant trop cette oeuvre charmante vers l’opéra (Jessye Norman le faisait aussi, mais mieux). Il suffit d’écouter la version qu’en donne Catherine Dubosc (avec Pascal Rogé, Decca) pour voir ce qu’en dépit d’une voix nettement moins ample, cette dernière apporte en matière de qualité de diction française et de simplicité d’approche, outre qu’elle opte à raison pour un tempo plus rapide.

Pour se frotter au style café-concert de Satie, Louise Alder adopte fort à propos une voix plus acide, même si sa Diva de l’Empire est trop diva et pas assez canaille. Si la soprano anglaise saisit l’esprit de cette musique, la réalisation qu’elle en donne déçoit, notamment en raison de ses consonnes molles qui nuisent à la compréhension du texte. Dans son enregistrement avec un Alexandre Tharaud irrésistible dans un numéro de pianiste de bastringue plus vrai que nature (Harmonia Mundi), la chanteuse Juliette fait certes montre d’une technique vocale faillible et peu académique, mais elle saisit en revanche à la perfection l’esprit irrévérencieux de ces oeuvres qui bénéficient grandement de sa gouaille et de sa prononciation impeccable.

Le disque se termine sur l’exquis Je chante la nuit de Maurice Yvain, véritable perle due à ce prolifique compositeur de chansons, opérettes et musiques de films. Il y a quelque chose du night-club dans cette entêtante composition au rythme chaloupé sur un texte de Henri-Georges Clouzot (!) qui clôture en beauté et avec beaucoup de finesse ce récital intéressant et original d’une chanteuse incontestablement talentueuse mais de qui on est en droit d’exiger davantage tant sur le plan de l’expression que de la diction. 

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 8

Patrice Lieberman

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