La biographie de référence pour Reynaldo Hahn

par

Philippe Blay : Reynaldo Hahn, Paris, Fayard. ISBN 978-2-213-62262-0. 2021, 702 p., 28 euros.

On attendait depuis longtemps un ouvrage de référence consacré à Reynaldo Hahn (1874-1947), en tout cas depuis le livre que Bernard Gavoty avait fait paraître en 1976 chez Buchet-Chastel. Adoubé dès 1945 par le compositeur lui-même auprès du directeur du Figaro, Pierre Brisson, pour lui succéder comme critique musical, Gavoty allait s’y faire connaître sous le pseudonyme de Clarendon. Si son approche de Hahn se révélait intéressante, elle était incomplète et lacunaire, des pans entiers de la création et de l’existence de l’auteur de Ciboulette étant inexploités. Depuis, l’historien chilien Mario Milanca Guzmán (1989) avait ouvert des perspectives familiales à partir de sources vénézuéliennes. Des mémoires, des études et des recherches universitaires, ainsi que des publications liées à l’un ou l’autre aspect, avaient ensuite enrichi peu à peu le sujet. On trouvait aussi des travaux musicographiques, comme celui de Jacques Depaulis chez Séguier en 2007, mais une synthèse de vaste ampleur était espérée. 

Philippe Blay, musicologue et conservateur en chef à la Bibliothèque Nationale de France, a soutenu dès 1983 un mémoire de maîtrise sur La Musique de Vinteuil dans l’œuvre de Marcel Proust. Plus tard, il a consacré à Reynaldo Hahn de longues recherches, a rédigé de nombreux articles à son sujet, et a mis en place en 2011 un colloque à Venise, à la demande du Palazzetto Bru Zane, qui a abouti à une édition collective chez Actes Sud en 2015. Trois ans plus tard, avec deux autres spécialistes, il a publié aux Classiques Garnier Marcel Proust et Reynaldo Hahn : une œuvre à quatre mains. Entretemps, de multiples interprètes de la nouvelle génération se sont intéressés de plus en plus à Hahn et des parutions discographiques ont vu le jour, rendant impérieuse la nécessité d’un outil de référence global. Philippe Blay était idéalement placé pour cette tâche, d’autant plus qu’il a eu accès à des fonds inédits, ceux des archives de la famille Hahn et de Bernard Gavoty, ainsi que le fonds Guy Ferrant de la Bibliothèque Nationale de Paris, légué en 1953 par ce compagnon de longue date du compositeur, fonds mis à disposition par les ayants droits en 2018. Le précieux Journal inédit de Reynaldo Hahn s’y trouve ; lui-même n’en avait livré que des fragments en 1933 chez Plon (réédition en 1949 chez le même, sous le titre Journal d’un musicien).     

On ne s’étendra pas ici sur l’aspect purement biographique, laissant le lecteur découvrir le fil d’une existence dans ce passionnant volume de sept cents pages, vrai régal de lecture en raison de l’élégance de son écriture et de la richesse de son contenu. On sait que né à Caracas, le jeune Reynaldo, d’origine juive allemande, arriva en France avec les siens à l’âge de cinq ans, qu’il étudia au Conservatoire de Paris, notamment avec Théodore Dubois et Jules Massenet dont il subira l’influence, mais aussi la direction d’orchestre qui allait le conduire notamment au Festival de Salzbourg en 1906 pour célébrer la naissance de Mozart. Philippe Blay reconstitue le parcours du compositeur, détaille sa présence appréciée dans les salons mondains de la capitale française, sa relation amoureuse puis fidèlement amicale avec Marcel Proust, son profond attachement à la tragédienne Sarah Bernhardt (des pages savoureuses), ou son compagnonnage difficile avec l’artiste lyrique Guy Ferrand (1888-1954). Il s’attarde aussi à son service militaire après sa naturalisation de 1907, et à sa participation à la Première Guerre mondiale au cours de laquelle il accomplit diverses missions (précieux échos de son témoignage dans le Journal inédit). La carrière musicale est retracée avec minutie, celle du compositeur prolifique aux talents divers et variés et de ses succès, trop souvent réduits à la célèbre Ciboulette de 1923, celle de l’écrivain et du critique musical, celle aussi de l’homme couvert d’honneurs, que vient couronner son élection à l’Académie des Beaux-Arts et sa nomination à la direction de l’Opéra de Paris après la Seconde Guerre mondiale. Pendant celle-ci, il a pu, malgré les dangers de ses origines juives, poursuivre une certaine activité publique. 

Les décors de la période de la belle époque, puis ceux de l’entre-deux-guerres, associés d’emblée à la personnalité sensible du compositeur, sont magistralement mis en scène, mais au-delà, c’est l’interprète de qualité et le créateur fin et racé qui est passé au crible, les œuvres musicales (ouvrages lyriques, ballets, musique de scène, de chambre ou symphonique, mélodies…) étant abondamment présentes, dont celles que l’on a redécouvertes récemment grâce au disque, comme L’île du rêve ou Ô mon bel inconnu. Reynaldo Hahn est un homme brillant et de haute culture, mais inscrit dans la tradition classique et peu à l’écoute des tendances nouvelles. De cette figure attachante, Philippe Blay a su, avec une empathie lucide, dépeindre les aspirations et les inspirations d’une existence tout entière vouée à l’art et à la musique.   

Des notes, précieuses mais non surabondantes, ont été placées en bas de page, ce qui en facilite l’accès. D’utiles compléments (plus d’une centaine de pages) figurent en fin de volume : un arbre généalogique de la famille, quelques textes poétiques, une chronologie, une liste des œuvres musicales, mais aussi littéraires (ouvrages, préfaces, contributions, articles, courriers, enquêtes et entretiens, conférences et discours édités, critique musicale et traductions, notamment du Don Giovanni de Mozart), une énumération des sources et une bibliographie, un index des noms et un index des œuvres du compositeur. On découvre aussi avec un vif intérêt le relevé des enregistrements sonores de Reynaldo Hahn, comme chanteur s’accompagnant souvent lui-même, pianiste soliste, pianiste accompagnateur (du baryton Arthur Endrèze, du ténor Guy Ferrant, de la mezzo Marguerite Pifteau ou de la soprano Ninon Vallin) ou chef d’orchestre, et même comme conférencier en 1935. Infatigable et imaginatif, Reynaldo Hahn ? Assurément. Ce livre remarquable, écrit d’une plume alerte et vivante, le démontre sans ambiguïté. 

Jean Lacroix 

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