L’ouverture de saison de l’Orchestre de la Suisse Romande  

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Pour son ouverture de la saison 2024-2025, l’OSR fait appel au chef russe Tugan Sokhiev qui a été à la fois le directeur musical du Théâtre Bolchoï de Moscou et de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Son programme juxtapose Ravel, Saint-Saëns et Rimsky-Korsakov et est présenté pour deux soirs à Genève, pour un seul, à Lausanne. 

Comme souvent au cours de ces derniers mois, le premier concert de Genève donne l’impression d’être la répétition générale de celui que le Théâtre de Beaulieu à Lausanne affiché le 3 octobre. Il faut dire aussi qu’en cette salle reconstruite récemment, la sonorité d’ensemble a une spatialité bien plus fascinante que le manque d’ampleur étriqué produit au Victoria Hall. Et la première page figurant au programme, l’Alborada del Gracioso de Maurice Ravel orchestrée par lui-même en 1918, bénéficie, le deuxième soir, d’un fini au niveau du phrasé qui pallie les errances d’intonation de la veille. Judicieusement, le chef accentue la pulsation dans un tempo moderato qui permet au basson goguenard de livrer ses épanchements lyriques sous les fenêtres d’une belle bien cruelle qui les tourne en dérision. 

Intervient ensuite le pianiste toulousain Bertrand Chamayou qui enfourche son cheval de bataille favori, le Deuxième Concerto en sol mineur op.22 de Camille Saint-Saëns. De l’Andante sostenuto initial, il noie le préambule dans la pédale du grand orgue avant de répondre au hautbois en exposant le thème passionné aux inflexions élégiaques. Mais le Sempre più animato devient un crescendo vrombissant qui oriente le discours vers la virtuosité clinquante. Néanmoins, cette maestria technique indéniable confère ensuite un brillant à l’Allegro scherzando claudiquant avec son pas de bourrée puis au Presto où les traits à l’arraché ne prétéritent aucunement le soin apporté à l’ornementation volubile. Devant l’enthousiasme délirant que le public concède à cette œuvre qu’il a peut-être trop jouée, Bertrand Chamayou propose pour les deux soirs le même bis, une Pavane pour une Infante défunte de Ravel cultivant un lyrisme sombre dans un allant qu’irisent les touches archaïsantes du second motif.

En seconde partie, Tugan Sokhiev présente la suite symphonique la plus célèbre de Nikolay Rimsky-Korsakov, Schéhérazade op.35, modérément inspirée par les Contes des Mille et Une Nuits durant le printemps de 1888. Il sait en faire valoir l’orchestration luxuriante en édifiant en arches d’un pont les premiers tutti dépeignant le cruel Sultan Schahriar. Puis il laisse affleurer le premier solo du violon de Bogdan Zvoristeanu donnant voix à Schéhérazade avec une finesse de ligne qui saura se densifier selon les redoutables exigences des interventions subséquentes. Par la profondeur des graves, le chef suggère la mer houleuse malmenant par paliers d’intensité le vaisseau de Sindbad affrontant la tempête, tout en ménageant sporadiquement les contrastes de phrasé et d’éclairage. Le Récit du Prince Kalender prête au basson des accents presque menaçants qu’aseptise le rubato du hautbois sur le motif dansant des cordes. Le drame éclate avec les fanfares d’appel de cuivres cinglants que dissiperont la cadenza mélismatique de la clarinette et les bois volatiles. L’évocation du jeune Prince et de sa compagne devient ici un intermède au lyrisme effusif s’animant avec les propensions dansantes suscitées par le tambourin et la trompette. La Fête à Bagdad est débauche de coloris s’appuyant sur des tutti incisifs emportés par un presto enivrant culminant avec la houle déferlante qui provoque le naufrage du vaisseau de Sindbad. Et la péroraison n’est plus qu’onirisme rasséréné, alors que le motif de Schéhérazade s’éteint dans l’extrême aigu.

Les spectateurs conquis applaudissent longuement l’indéniable réussite de ce beau concert d’ouverture qui aurait mérité que les musiciens d’orchestre extirpent de la naphtaline leur queue-de-pie en lieu et place du débraillé à col ouvert qui, le premier soir, a incité le chef penaud à enlever sa cravate pour diriger Schéhérazade. Quelle pitié ! Quel manque de goût !

Genève, Victoria Hall, le 2 octobre 2024

Lausanne, Théâtre de Beaulieu, le 3 octobre 2024

Crédits photographiques : Magali Dougados

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