Mahler pionnier par Hans Rosbaud
Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonies n°1, n°4, n°5, n°6, n°7, n°9, Das Lied von der Erde. Eva Maria Rogner, soprano ; Grace Hoffmann, mezzo-soprano ; Ernst Haefliger, baryton. Kölner Rundfunk Sinfonieorchester, Südwestfunk-Orchester Baden-Baden, Hans Rosbaud. 1951-1961. Livret en anglais et allemand. 1 coffret SWR Classic. 1 coffret de 8 CD SWR19099CD.
Dans le cadre de la généreuse anthologie consacrée par SWR à la figure majeure d’Hans Rosbaud, le label du Bade-Wurtemberg édite un beau coffret consacré aux enregistrements mahleriens du chef allemand.
Indéfectible soutien des modernités, le musicien était aussi à l’aise dans l’univers révolutionnaire du grand symphoniste que dans les créations les plus redoutables ou les piliers du répertoire classique. Mais rappelons-nous que si Gustav Mahler est de nos jours un étalon des orchestres et des chefs, il n’en était pas ainsi dans les années 1950, décennie dont sont issues les captations proposées dans ce coffret. Mahler était même une rareté !
Si l’on excepte le travail des disciples et amis du compositeur -Bruno Walter, Otto Klemperer, Willem Mengelberg- l'œuvre de Mahler restait marginale dans les programmes des concerts. Le revival Mahler porté par Leonard Bernstein et qui se diffusa dans le monde dès la fin des années 1960 ne relevait que de la futurologie. Dès lors, seuls quelques généreux musiciens affrontaient ces fresques au concert : Paul Kletzki, Jasha Horenstein, Dimitri Mitropoulos, Charles Adler, Eduard van Beinum ou Hans Rosbaud. Une majorité de ces enregistrements étaient à créditer à des orchestres radiophoniques allemands. Il faut dire que, largement financées, ces phalanges pouvaient se permettre de répéter méticuleusement, d’affronter les difficultés techniques des partitions et de diffuser en direct ! Dès lors, le coffret met en avant deux orchestres : le Kölner Rundfunk Sinfonieorchester et le Südwestfunk-Orchester de Baden-Baden dont Rosbaud était le fondateur et le directeur musical. Pour se rendre compte de l’importance historique de ces gravures, il faut consulter la discographie complète de Vincent Mouret sur le site de la Fondation Mahler et on pourra ainsi constater que la captation de la Symphonie n°7 est le quatrième témoignage conservé dans cette oeuvre et le cinquième pour la Symphonie n°9 ! On est bien face à des témoignages d’un pionnier.
On ne sera pas surpris que la direction de Rosbaud soit plutôt analytique, c’est à dire concentrée sur le geste musical : la linéarité des thèmes et les contrastes dynamiques ; point de narration ou d’égo-projection comme le feront plus tard d’autres chefs pour s’approprier le ton unique de ces partitions démesurées. Les tempi, comme chez les mahlériens pionniers, sont rapides voire très rapides en comparaison avec les interprétations des années 1990/2000 qui marquèrent un ralentissement généralisé dans les mouvements de ces symphonies. Il en résulte une plus grande mobilité de la masse orchestrale, certes plus abrasive, mais au final plus impactante dans le rendu de la modernité du compositeur. Si de nombreux témoignages de ces années sont gâchés par des orchestres perdus dans la complexité de ces symphonies, on est ici frappé par la qualité du niveau de jeu, en particulier avec le Südwestfunk-Orchester Baden-Baden. Ces orchestres radiophoniques, rompus aux musiques contemporaines les plus radicales, peuvent surmonter sans problèmes les défis mahlériens. Le travail sur les bandes sonores est exceptionnel et l'auditeur peut pleinement profiter de l’attrait de ces gravures qui avaient été éditées dans des conditions sonores déplorables par de nombreux labels pirates à l’orée des années 1990.
Certes, c’est un jalon d’histoire à réserver aux discophiles émérites mais il complète utilement notre connaissance de l’art de l’interprétation et il perpétue la légende d’un chef qui n’a jamais été trop médiatisé mais qui reste essentiel dans l’art de la direction du XXe siècle.
Son : 7 - Livret : 9 - Répertoire : 10 - Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot