Mahler magnifié par Marie-Nicole Lemieux et Andrew Staples

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Pour trois concerts à présenter à Zurich, Berne et Genève, le Service culturel Migros invite l’Orchestre Les Siècles et son chef fondateur, Françoix-Xavier Roth, qui prend la parole pour expliquer que les deux œuvres inscrites au programme, la suite tirée des Indes galantes de Rameau et Das Lied von der Erde de Mahler, sont jouées sur des instruments historiques correspondant à l’époque de leur création.

Ainsi pour Rameau le diapason est judicieusement abaissé à 415 et l’arsenal des cordes (hormis les violoncelles et le clavecin) est condamné à jouer debout en recourant à des instruments baroques français produisant un son rêche pour l’Entrée de la suite d’Hébé et laissant apparaître un manque de fusion des cordes pour la Musette en rondeau. Par contre, les deux Rigaudons et les deux Tambourins ont meilleure allure par la vigueur des accents, alors qu’éclate une tempête annoncée par des timbales menaçantes. Le Rondeau des Sauvages est élaboré à la pointe sèche rendant incisifs les traits de trompettes pour une Chaconne conclusive en apothéose.

Pour Das Lied von der Erde élaboré entre 1907 et l’été 1908, François-Xavier Roth choisit des instruments de facture allemande incorporés à une formation gigantesque. La première séquence, Das Trinklied vom Jammer der Erde, tient du pandemonium avec des cors assourdissants et des cuivres canardant la malheureux ténor Andrew Staples qui, néanmoins, ne se laisse pas décoiffer en parvenant à faire entendre son aigu claironnant. Il profitera du reste d’un brin de légèreté dans la trame de Von der Jugend pour articuler minutieusement son declamato et pourvoira son timbre d’un sourire pour ironiser sur la lourdeur des vents dans Der Trunkene im Frühling. Pour le plus grand des bonheurs, la partie de contralto est confiée à Marie-Nicole Lemieux qui est l’atout majeur de cette exécution, recherchant la lumière dans l’expression de Der Einsame im Herbst, irisant son timbre magnifique de ravissement dans Von der Schönheit où l’ampleur du legato lui fraie un chemin dans le bastringue médian avant de conclure sur une note espiègle. Dans Abschied, elle atteint le paroxysme du désespoir en arrondissant ses aigus dans les envolées lyriques et en livrant ses ultimes phrases comme l’une des Parques. Elle énonce les derniers « ewig » en un pianissimo presque imperceptible qui lui arrache des larmes embuant aussitôt l’auditoire d’une indicible émotion…  

Genève, Victoria Hall, le 20 mars 2024

Crédits photographiques : Genevieve Lesieur.

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