Miguel Baselga, intégrale Albéniz
L’excellent pianiste Miguel Baselga avait gravé pour le label Bis, une intégrale de la musique pour piano d’Albéniz, y compris ses partitions concertantes. La firme suédoise remet en coffret cette somme. A l’occasion de cette parution, Crescendo-Magazine rencontre le musicien.
Quand on regarde le programme de cette intégrale de la musique pour piano d’Albéniz, on ne peut être que surpris. Alors que l’on connaît essentiellement la célèbre suite Iberia, on découvre une œuvre très imposante, autant en quantité qu’en qualité. Comment pouvez-vous définir cette œuvre, si on l’envisage dans sa globalité?
Je pourrais vous répondre avec le titre de la pièce de Pirandello Sei personaggi in cerca d’autore [Six personnages en quête d’auteur]. On pourrait définir l’oeuvre d’Albéniz comme celle d’un auteur à la recherche de son propre style. À la fin du XIXe siècle, l’héritage de Chopin, Liszt, Schumann et Brahms était très lourd et leurs influences étaient omniprésentes. Encore plus pour les pianistes. Albéniz a “subi” aussi un processus pour se “libérer” et pour pouvoir trouver son propre chemin, unique et inimitable. Disons qu’il a fait mouche avec ce que l’on connaît comme “musique nationaliste” (pas seulement Iberia, il y en a d’autres) mais dans la foulée, il y a quand même pas mal de pièces qui valent le détour. Si vous cherchez des petits bijoux méconnus, vous êtes à la bonne adresse!
Comment la musique pour piano d’Albéniz s’intègre-t-elle dans son temps par rapport à ses contemporains ?
Il faudrait d’abord faire la part des choses. Quand on parle de “sa musique” il faut séparer ses pièces disons “alimentaires” de celles publiées à frais d’auteur. Justement parce qu’elles étaient considérées comme injouables pour la majorité du public. N’oublions pas qu’à l’époque il y avait un véritable marché éditorial, surtout pour le piano. Comme pianiste, il avait beaucoup de succès ; comme compositeur de pièces “grand public”, il faisait un cartón; comme compositeur d’opéra, ce n’était pas terrible en revanche ; et comme compositeur de pièces “de bravura”, celles qui justement l’on fait passer à l’histoire, il était très apprécié par les pianistes de l’époque qui voyaient en lui ce qu’il est : un compositeur avec un “pianisme” unique que vous ne trouverez nul ailleurs.
Cette intégrale pour le label Bis a été enregistrée entre 1998 et 2015. Est-ce que votre regard sur le compositeur a changé au cours de ce parcours discographique ?
Plus que sur le compositeur, mon regard sur la philosophie à adopter face à certaines pièces à évolué. Et surtout sur la capacité et le rôle que peut jouer un interprète pour “enrichir” une partition. Disons que j’ai gagné en modestie et, surtout, à ne pas en rajouter. Un de mes défauts sans doute.
Dans l’un des livrets repris dans ce coffret, il est précisé que vous avez corrigé des partitions sur base des manuscrits. Quels ont été les défis éditoriaux à résoudre par rapport à l’ensemble de ces pièces ? Est-ce que certaines partitions étaient difficilement localisables ?
Je suis très cartésien par formation. Et maintenant, aussi par goût. J’ai toujours pensé (et à mon âge, j’en suis convaincu) que dans la musique il y a un côté objectif, scientifique et analysable (c’est probablement la facette qui m’intéresse le moins) et un autre plan qui se définit comme subjectif, poétique et sublime. Mais pour aboutir à ce nirvana créatif, il faut d’abord faire ses devoirs. Les manuscrits sont parfaitement localisés (s'ils existent, ce qui n’est pas toujours le cas) et il y a un catalogue très fiable, le problème n’est pas là. Mahler disait : “tout est dans la partition, sauf l’essentiel”. Mais il est difficile de faire une bonne version avec des erreurs éditoriales et le problème est que beaucoup d’éditions en contiennent ! Mais c’est une partie perdue d’avance. D’abord parce que certains illustres collègues élevés à la gloire et portés sur des autels jouent n’importe quoi, et ensuite parce que la majorité du public ne fait pas la différence entre un Do et un Do#. C’est tant pis pour moi !
Cette intégrale propose également des concertantes la Rapsodia Española et le Concierto Fantastico. Ce sont des partitions très peu connues. Quelles en sont les caractéristiques ? Comment s'intègrent-t-elles dans l'œuvre du compositeur ?
La Rapsodia Española peut être classée dans son style nationaliste. C’est intéressant parce qu’il utilise comme premier thème principal une petenera [une danse du flamenco considérée maudite et qui porte malheur] très bien orchestrée. Son Concierto Fantástico, dans un style nettement romantique schumannesque-chopinien, est un défi pour n’importe quel pianiste parce qu'il y a plusieurs décisions à prendre dans l’interprétation du premier mouvement, résultat d’une écriture un peu gauche. Il y a un deuxième concerto pour piano et orchestre mais, malheureusement, il n’existe qu’une ébauche de six pages.
Vous avez étudié avec le grand Eduardo Del Pueyo qui était très apprécié en Belgique. Est-ce que ses conseils ont pu vous servir pour cet enregistrement ?
Tout m’a servi ! Autant pour Albéniz que pour interpréter tous les compositeurs. C’est sans doute mon meilleur professeur. Il avait un cœur d’or ! J’ai pour lui une énorme reconnaissance et un souvenir inoubliable. On a travaillé ensemble plusieurs pièces d’Albéniz. C’était inoubliable !
Vous avez étudié en Belgique au Conservatoire royal de Liège. Est-ce que vous avez des projets dans nos contrées du Plat pays ?
Pour l’instant, le seul lien est la parution de mon nouvel album qui va proposer le ballet de Roberto Gerhard La nuit de la Saint Jean dont nous avons donné la première à Madrid et que nous présenterons au Liceu de Barcelone. Cet album sera distribué par la firme Belge Outhere Music et la parution est prévue en octobre prochain. Mais, on ne sait jamais quelles opportunités peuvent se présenter.
Le site de Miguel Baselga : www.miguelbaselga.com
- A écouter :
Isaac Albéniz (1860-1909) : The complete piano music. Miguel Baselga, piano. Tenerife Symphony Orchestra, Lü Jia. 1 coffret Bis de 9 CD. Bis-2613.
Crédits photographiques : Antonio Rascón
Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot
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