David Kadouch, Révolution 

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Le pianiste David Kadouch est doublement en tête de l’actualité. Il sort un nouvel album (Mirare) qui porte le titre de « Révolution » ; parcours personnel à travers les oeuvres et les époques, ce nouveau disque est un superbe objet sonore, invitation à suivre un voyage narratif personnel entre les musiques. David Kadouch est également acteur d’un album consacré aux oeuvres concertantes de Philippe Boesmans (Cyprès) où il interprète Fin de Nuit pour piano et orchestre, partition dont il donna la création au printemps dernier à Liège et Bruxelles. Crescendo Magazine suit avec une attention particulière les projets de David Kadouch qui fut le premier “jeune artiste” des International Classical Music Awards en 2011. 

Ce nouveau disque se nomme “Révolution”. Pourquoi ce titre ? Qu’est-ce que la Révolution en musique représente pour vous ? 

J'ai choisi ce titre pour l'opposer au concept de mémoire. J'avais lu un livre fantastique d’Annie Ernaux qui s’intitule Les Années ; c’est une autobiographie à travers les grands événements de sa vie en France et dans le monde. Dans la dernière phrase du livre, elle écrit “sauver quelque chose du temps où on sera plus jamais”. Cela m’a beaucoup ému et je me suis dit que c’est une des définitions de ce que doit être l’art : témoigner ! Témoigner des gens que l’on aime, de ce que l’on a vécu car on sait que tout est condamné à disparaître. J’ai souhaité confronter “la mémoire” à un autre concept : celui de “révolution”. Car la révolution c’est exactement le contraire de la mémoire : c’est oublier tout, et recommencer en faisant un pas du rêve à la réalité. Dès lors, comment l’artiste est-il influencé dans son geste créatif quand tout s’effondre autour de lui, ou quand son pays traverse des bouleversements. J’ai choisi des oeuvres liées à des mutations du temps et de la société. Les artistes ont été bouleversés et ils ont créé sous cette impulsion. 

Votre précédent album “En plein air” était également une invitation à un voyage entre les styles et les époques. Un album doit-il forcément raconter une histoire ? 

Non, pas forcément ! Je sais juste que j'adore raconter une histoire mais c'est parce que je suis passionné de théâtre et de cinéma et que la narration est pour moi essentielle. Je vais tout le temps au théâtre et quand je sors d'une soirée, j‘ai souvent l’impression de repartir avec quelque chose de plus, comme une vision du metteur en scène sur une oeuvre classique, et cela m’influence dans la manière dont je construis mes programmes. Je n’ai pas très envie de faire un album avec un ou deux compositeurs qui s’affrontent. J’aime mieux raconter moi-même et suggérer des histoires, et j’espère qu’à l’écoute de l’album on ressort avec une vision d’ensemble qui n’est pas seulement celle de l’oeuvre mais qui est un message ou un sentiment général. J’espère que l’on peut écouter les choses différemment car le concert ou le disque m’apparaissent comme des expériences pour dire les choses de manière plus narrative. 

Le compositeur commun aux albums “En plein air” et “Révolution” est Janáček. Hasard des thématiques ou volonté de défendre sa superbe musique pour piano ? 

Les deux. C’est un hasard parce que, si Janáček n’avait pas composé cette sonate, je ne l’aurais pas intégré dans le disque. Janáček est un compositeur que j’ai beaucoup pratiqué, particulièrement en musique de chambre, et j’ai un rapport particulier à sa musique. 

Sur l’album “Révolution”, il y a une pièce de Rzewski, Winnsboro Cotton Mill Blues. J’ai l’impression qu’il y a une forme de Revival Rzewski en ce moment. Qu’est-ce qui vous attire chez ce compositeur ?

Je trouve que Winnsboro Cotton Mill Blues est une oeuvre très cinématographique. Elle est très immédiate dans sa perception et les sons sont très équivoques : il y a les bruits d’usine et le blues. Quand je la joue en concert, des gens viennent me voir et me disent qu’ils ont été bouleversés et secoués par cette pièce. Je trouve que c’est une oeuvre très forte car tous ses effets reposent sur une économie de moyen et on peut aller loin dans l’interprétation, mais le propos politique de l’oeuvre en fait quelque chose de fort, d’autant plus dans le cadre de cette thématique “Révolution”. 

Vous avez donné la Première d’un nouveau concerto pour piano de Philippe Boesmans dont l’enregistrement sort au disque chez Cyprès. Même si leurs styles sont différents, est-ce qu’il y a des ponts entre l’univers d’un Boesmans et celui d’un Rzewski ? Ne sont-ils pas tous les deux des compositeurs “narratifs”? 

Oui, c’est vrai ! Boesmans parle de choses qui sont plus indicibles et qui sont plus liées au vécu personnel. Rzewski parle de l’humain dans la société, ses oeuvres sont engagées car il est lui-même engagé. On ne parle pas de la même personne narrative. Boesmans parle avec un “je” auquel je peux m’identifier moi-même, un “je” avec toutes ses émotions, alors que quand je joue Rzewski, je dois me placer à l’échelle de l’humanité, dans le sens politique de l’individu dans la société. 

Comment s’est passée cette collaboration avec Philippe Boesmans ? 

Avec Philippe, c’est totalement organique, sa personne est comme sa musique. Les plus grands génies de la composition ont une musique qui leur ressemble. Philippe est comme sa musique, il ne triche pas. Il me fait rire avec quelques phrases ou quelques mots. Un peu comme dans sa musique où les envolées auxquelles on s’attend pas sont fulgurantes. Philippe était venu m’écouter jouer Burlesque de Richard Strauss à Hambourg, juste “parce que”, car il a une grande curiosité des gens. Je ne peux pas dire autre chose que je l’adore. 

Pour en revenir à l’album “Révolution”, sa sortie s’accompagne d’un clip assez futuriste. Pouvez-vous nous parler du projet ? 

Cela fait partie de cette démarche que j’avais envie d’intégrer dans mes disques qui me ressemblent. Comme je vous l’ai dit, je suis passionné par le cinéma et le théâtre et j’avais envie d’une expérience en plus. Une expérience qui met la Sonate de Janáček en perspective. C’est un exemple du concept artistique que je peux développer quand je suis seul face à mon imaginaire avec ce que la musique m’évoque. Je pense que c’est beau de rentrer dans l’imaginaire de quelqu’un et cela me fait plaisir. On parle souvent de marketing en musique mais il y a aussi un côté positif à se dévoiler et partager des choses qui nous rendent nous-même. Faire ce clip contribue à être moi-même. J’adore la narration des histoires et je trouve que cela renforce l’oeuvre. Gaultier Durhin, le réalisateur, avait son idée par rapport à l’univers futuriste et je trouve que cela rend la musique actuelle. Le clip est une manière d’écouter l’oeuvre différemment. 

Le site de David Kadouch : https://davidkadouch.com/

A écouter : 

Révolution. Oeuvre de : Dussek, Beethoven, Chopin, Liszt, Debussy, Janáček, Rzewski. David Kadouch, piano. 1 CD Mirare.  MIR428

 

 

Philippe Boesmans : Concerto pour violon, Capriccio pour deux pianos, Fin de nuit pour piano et orchestre. George Tudorache, violon ; David Kadouch, Julien Libeer. Orchestre philharmonique royal de Liège, Gergely Madaras. 1 CD Cyprès. CYP4656

 

Crédits photographiques : Gregory Favre

Props receuillis par Pierre-Jean Tribot

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