Monumentale Tosca à la Scala de Milan

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Pour son début de saison 2019-2020, la Scala de Milan choisit Tosca, ouvrage qui, à partir de mars 1900, y a connu trente séries de représentations mais qui, curieusement, n’a servi qu’une seule fois de spectacle d’ouverture, le 6 décembre 1928. Il permet aussi à Riccardo Chailly de poursuivre son cycle ‘pucciniano’ en présentant la version originale reconstituée par le musicologue britannique Roger Parker d’après la première édition chant et piano publiée par Ricordi quelques semaines après la création romaine du 14 janvier 1900. Les quelques adjonctions sont infimes et concernent le duetto initial Tosca-Cavaradossi, la fin du Te Deum, la prière de Spoletta au terme de la scène de torture, une formulation diverse du Quanto ?... Il prezzo, quelques mesures ajoutées après Vissi d’arte et, plus substantiellement, une scène de mort de Scarpia beaucoup plus développée et une fin d’opéra sensiblement différente ; mais il est vraisemblable que le compositeur les ait éliminées partiellement au cours des répétions puis dans la version définitive. Et Riccardo Chailly les restitue naturellement dans une lecture intelligente qui sait être palpitante de bout en bout sans l’emphase qui pourrait noyer le plateau vocal.

Quant à la production, elle est confiée au metteur en scène turinois Davide Livermore qui a décidé de jouer la carte du grandiose dans une optique traditionnelle qui surprendra le spectateur ayant vu son Attila en ce théâtre ou ses Ciro in Babilonia, Italiana in Algeri, Turco in Italia ou Demetrio e Polibio à Pesaro.

Les décors monumentaux émanent du Studio Giò Forma incluant les dessinateurs-architectes Cristiana Picco, Florian Boje et Claudio Santucci, les effets vidéo de l’atelier D-Wok, les saisissants jeux de lumières d’Antonio Castro, tandis que Gianluca Falaschi élabore des costumes aux coloris harmonieux, excepté les habits ridicules de Tosca, robe de satin noire rehaussée d’un manteau à capuche écarlate qui la fait ressembler à Chaperon rouge, puis vêtement d’apparat délavé massacré par la teinturerie qui a laissé couler du bleu-vert sur du violacé.

Le lever de rideau est saisissant avec un Angelotti courant dans l’obscurité avant de parvenir à Sant’Andrea della Valle dont il entrouvre la porte pour découvrir de ses yeux fatigués la Cappella Attavanti dont le plateau montant lui révèle le soubassement. Alors que la nef se met en place en une continuelle mouvance des éléments, le bedeau véhicule un énorme échafaudage pendant que descend des cintres la toile représentant la Maddalena, soumise aux touches vidéo produisant les couleurs. Le régisseur suggère habilement les rebondissements d’action jusqu’à une entrée tonitruante de Scarpia et de son escouade au milieu de la manécanterie puis d’un Te Deum en grande pompe s’échappant de Roma de Federico Fellini. Au Palazzo Farnese, sur le haut des parois, trois toiles que les projections animeront évoquent l’histoire de la Rome chrétienne. Mais comment croire que le chef de la police est servi par des religieuses à voile blanc et que l’une d’elles assistera même à la scène de torture de Mario qui se déroule sous le plancher ? Le dernier tableau est le plus convaincant avec cette aile de pierre se détachant de la statue du Château Saint-Ange pour exhiber l’envers avec les escaliers du guet et les prisons. Le dénouement la fera pivoter sur elle-même, concédant à Tosca d’atteindre aisément le sommet et, plutôt que de se jeter dans le Tibre, d’être propulsée dans les cieux rédempteurs. De quoi vous laisser pantois !

Après avoir remporté de délirantes ovations le soir du 7 décembre et avoir assuré les trois premières représentations, Anna Netrebko se déclare indisposée pour les suivantes des 19 et 22 décembre, cédant ainsi la place à celle qui devait lui succéder en janvier, la Madrilène Saioa Hernandez entendue l’an dernier sous les traits de l’Odabella d’Attila. Est-elle une Tosca ? Il est permis d’en douter tant, sous l’effet d’une évidente nervosité, la voix révèle une émission gutturale et un vibrato large qui ne lui concède ni phrasé, ni nuance. Les deuxième et troisième actes comportant paroxysmes d’anxiété et éclats dramatiques conviennent mieux à ses moyens avec quelques demi-teintes au début du Vissi d’arte et une certaine assise vocale dans le dernier tableau.

Mais que cela semble insignifiant un 19 décembre, le jour où le théâtre milanais réunissait en fin d’après-midi trois personnalités, Carla Maria Casanova, Giovanni Gavazzeni et Stephen Hastings pour évoquer Renata Tebaldi, disparue il y a quinze ans et qui fut ici une mémorable Tosca d’avril 1953 à janvier 1960. Par contre, pour revenir au spectacle actuel, il faut parler de la performance du baryton parmesan Luca Salsi, remarquable Scarpia par l’écrasante présence, l’homogénéité du timbre et la parfaite énonciation du texte qui lui suggère de cyniques inflexions dans la séquence Se la giurata fede. Tout aussi notoire, le Mario Cavaradossi de Francesco Meli qui laisse en coulisse la ‘vocalità’ de stentor dont il affuble ses incarnations verdiennes pour modeler des contrastes de phrasé et d’éclairage, allant même jusqu’à détimbrer les aigus de E lucevan le stelle et à négocier pianissimo O dolci mani. Alfonso Antoniozzi campe un Sacristain bougon mais touchant par sa bonhommie tandis que Carlo Cigni confère une véritable stature tragique au fugitif Angelotti. Carlo Bosi a la mielleuse obséquiosité de Spoletta et Giulio Mastrototaro, l’impavidité du sbire Sciarrone alors qu’Ernesto Panariello personnifie le geôlier, le petit Gianluigi Sartori, le berger. Dans l’ensemble, l’une des plus convaincantes ouvertures de saison de ces dernières années.

Paul-André Demierre
Milan, Teatro alla Scala, le 19 décembre 2019

crédits photographiques :  Brescia/Amisano - Teatro alla Scala

 

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