À Genève, LES INDES… à contre-sens 

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Pour la première fois dans sa longue histoire, le Grand-Théâtre de Genève affiche Les Indes galantes, le plus célèbre des opéras-ballets que Jean-Philippe Rameau fit représenter à l’Académie Royale de Musique le 23 août 1735. Le genre implique le divertissement où, comme l’indique le programme, la danse joue un rôle aussi important que le chant. A l’époque, tous les rivages éloignés comme la Turquie, le Pérou, la Perse ou l’Amérique sont considérés comme des ‘Indes’ où la galanterie est symbole d’érotisme.

Que voit-on ici ? Sous de magnifiques éclairages conçus par Olaf Freese, le décor de Heikke Scheele représente un théâtre de cour XVIIIe, laissé à l’abandon avec des murs de loge en démantèlement, alors que quelques jeunes en nuisette et collants blancs déplacent des armatures de lit avec sommier ; selon Lydia Steier qui assume la mise en scène en coordination avec le chorégraphe Demis Volpi, ils constituent le groupe de l’Amour. Tandis que, tous sexes confondus, tout ce joli monde s’étreint lascivement, apparaît la déesse Hébé campée par Kristina Mkhitaryan, manquant singulièrement d’ampleur dans le bas medium pour être convaincante face à un claironnant Renato Dolcini incarnant en travesti Bellone, la déesse guerrière entraînant avec elle sa soldatesque armée jusqu’aux dents. En une fraction de seconde, nous voilà confrontés à une rafle du Vel d’Hiv où l’on torture sadiquement deux ou trois frondeurs. Afin de produire un fil rouge narratif, s’enchaîne la première entrée, ‘Le Turc généreux’. Hébé se glisse dans les formes opulentes d’une Emilie devenue odalisque, tandis que Bellone se métamorphose en Pacha Osman ventripotent, ne songeant qu’à anéantir Valère, l’amoureux transi, personnifié par Cyril Auvity à l’émission droite mais à la diction soignée.

Il est temps de parler musique dont Leonardo Garcia Alarcon, fraîchement émoulu des représentations à l’Opéra Bastille, est le maître d’œuvre, cultivant un phrasé souple suscitant des myriades de coloris fascinants à la tête de sa Cappella Mediterranea et du Chœur du Grand-Théâtre de Genève s’adaptant à la ‘vocalità’ baroque grâce au minutieux travail préparatif de son chef, Alan Woodbridge.

Mais à partir de la seconde entrée, ‘Les Incas du Pérou’, s’impose une constatation : la direction scénique de Lydia Steier va à l’encontre de ce que dit le texte. Lorsque les choristes chantent avec d’émouvantes inflexions « Viens Hymen », célébrant l’union de la princesse Phani (remarquable Claire de Sévigné) et de l’officier Carlos (Anicio Zorzi Giustiniani), l’on martyrise d’innocentes victimes qui se livrent à un ‘twist’ de la frayeur, pendant que le Huascar de François Lis s’empare d’une couverture pour… provoquer l’éruption d’un volcan. Alors que descendent de scintillants lustres, paraît Louis XIV enfant, coiffé du soleil emblématique, esquissant quelques pas de danse : serait-ce donc l’un des fleurons de la chorégraphie de Demis Volpi, inexistante au point que l’intermède précédant le Tableau des Fleurs tient de l’exercice d’aérobic à deux virant au hip hop ?

Néanmoins, ce troisième tableau glisse une note d’ironie bienvenue avec un jeu de travestissements impliquant aussi les meilleurs chanteurs de la soirée, la Fatime d’Amira Edris, l’Ali de Gianluca Buratto, véritable basse profonde, la Zaïre de Roberta Mameli et le Tacmas de Cyril Auvity. Mais nouveau contre-sens : lorsque le chœur entonne « Triomphez, agréables Fleurs » et que Zaïre évoque le papillon inconstant, l’un des blessés se meurt sur un grabat avant que l’on ne procède à l’ensevelissement ! Le dernier tableau est tout aussi confus avec des sauvages dansant le rock mais qui ont le bon goût de disparaître avec la neige tombant sur ces incongruités, tandis qu’à tempo très lent se dessine le célèbre Rondeau des Sauvages. Magnifique image conclusive !   

Paul-André Demierre

Genève, Grand-Théâtre, le 17 décembre 2019

Crédits photographiques :  Magali Dougados

 

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