Agnès Clément, harpiste

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Lauréate du prestigieux concours ARD, la harpiste Agnès Clément occupe le poste de harpe solo auprès de l’Orchestre symphonique de La Monnaie. Avec ses collègues, et sous la direction d’Alain Altinoglu, elle vient de donner la création mondiale du Concertino de notre compatriote Wim Henderickx. Alors que sort un CD intitulé “Le Rossignol en Amour”, Agnès Clément répond aux questions de Crescendo Magazine.

Vous avez remporté le très prestigieux concours de l’ARD en Allemagne. Qu’est ce que cette victoire vous a apporté ?

Ce concours de l’ARD a été une expérience très enrichissante dans beaucoup de domaines. Lors de sa préparation, j’ai expérimenté une manière totalement nouvelle pour moi d’appréhender le répertoire. J’ai choisi une approche intériorisée, presque méditative, des oeuvres. Détachée de l’instrument et libérée de ses contraintes techniques, la musique prend forme mentalement, elle se construit peu à peu dans un travail de visualisation où l’imaginaire se joue des limites musicales.

C’était passionnant de découvrir ce champ des possibles, et le concours a été pour moi l’occasion d’aboutir dans ce travail. Mon jeu en a été métamorphosé, et les innombrables propositions de concerts qui ont découlé du concours m’ont permis d’aller toujours plus loin dans ces découvertes musicales. C’était donc un moment pivot, qui m’a énormément apporté !

Vous sortez un album intitulé “Le Rossignol en amour”, pouvez-vous nous en présenter le concept ?

Le “Rossignol en amour”, c’est une ode à la passion. Le programme s’articule autour de trois thématiques, la nature, l’amour et la mort. En effet, à l’époque baroque les compositeurs imitaient le chant des oiseaux pour refléter un sentiment. L’hirondelle, annonciatrice du printemps représente l’espoir et la fécondité ; le rossignol quant à lui, attend la tombée de la nuit pour égrener ses trilles et déployer sa virtuosité en vue de séduire sa belle. Plus pervers est le coucou, il est bien souvent considéré comme l’oiseau de mauvais augure : celui qui apporte la discorde dans les couples, qui avive la jalousie. Entre ces chants d’oiseaux, nous retrouvons des oeuvres phares du répertoire romantique qui nous emportent dans les tourments de la passion et nous font entr’apercevoir le désespoir et la mort avant de nous apporter l’apaisement d’une consolation.

Comment avez vous sélectionné les oeuvres présentes sur ce disque, des oeuvres qui font le grand écart entre les styles et entre les époques ?

Je pense que varier les styles et les époques au sein d’un programme permet de magnifier les oeuvres par le contraste qu’elles produisent entre elles. Ainsi dans ce programme nous retrouvons des oeuvres baroques, romantiques et post-romantiques. Mêler les oeuvres originales aux transcriptions permet de dévoiler des couleurs nouvelles, de découvrir une oeuvre sous un autre angle. Le travail de recherche des transcriptions a été passionnant ! J’ai pu me plonger dans les oeuvres de Liszt mais aussi explorer le répertoire immense de l’époque baroque pour y dénicher les rares joyaux qui pourront être joués à la harpe sans perdre de leur saveur.

Dans votre sélection de compositions, il y a la “Sonate” de Paul Hindemith, un compositeur à l’image très “sérieuse”. On ne l’imagine pas tel un “Rossignol en amour”...Qu’est ce qui vous touche dans cette oeuvre ?

La Sonate de Hindemith est une oeuvre pleine de poésie. Dans ce programme, elle apporte l'insouciance et la légèreté à l’image de son deuxième mouvement représentant des enfants jouant dans le soleil sur le parvis d’une cathédrale. Elle apporte aussi une reflexion sur l’aboutissement d’une vie grâce à un poème de Hölty qui éclaire le troisième mouvement : « mes amis, quand je ne serai plus là, accrochez ma petite harpe derrière l’autel ».

Vous venez de créer sur la scène de Bozar, avec votre orchestre de La Monnaie, le “concertino pour harpe” de Wim Henderickx. Comment s’est décidé ce projet ? Comment s’est passé le travail avec ce compositeur ?

Nous avions depuis longtemps l’idée de jouer un concerto pour harpe avec Alain Altinoglu. Les créations contemporaines sont une grande tradition au sein de l’orchestre de la Monnaie. Peter de Caluwe, directeur de l’Opéra, a donc proposé au compositeur Wim Henderickx de composer un Concerto qui viendrait créer un lien entre les Symphonies n°5 et n°6 de Beethoven. Nous avons beaucoup travaillé ensemble en amont du concert, Wim est un musicien extrêmement passionné, bouillonnant d’idées, et d’un enthousiasme débordant. Depuis sa première ébauche, le Concertino s’est métamorphosé, nous ne voulions pas que les contraintes techniques de l’instrument soient un frein à la musicalité et à l’énergie tempétueuse de l’oeuvre. Nous avons donc cherché à adapter les idées de Wim au mieux pour que la harpe puisse devenir l’instrument viril et percussif dont il rêvait. Le résultat est un Concertino de très fort caractère qui, après un premier mouvement éthéré et mystérieux, se déchaîne dans un orage digne de Beethoven.

On a l’impression qu’une nouvelle génération de harpistes s’affirme avec des idées nouvelles et une volonté d’apporter une nouvelle image de l'instrument: Emmanuel Ceysson, Anaïs Gaudemard, Anneleen Lenaerts. Est-ce que vous revendiquez l’appartenance à ce mouvement ?

Je pense que de tous temps la harpe a connu des interprètes d’une grande maturité musicale et d’une virtuosité impressionnante. Elias Parish-Alvars était considéré comme le Liszt de la harpe par Berlioz, tandis qu’on se plaisait à comparer Wilhelm Posse à Paganini. Henriette Renié, par sa personnalité hors norme a su révolutionner l’image de la harpe et la faire accepter comme instrument soliste aux Concerts Lamoureux. Nous sommes tous les héritiers de ces grands harpistes, Lily Laskine, Pierre Jamet, Alphonse Hasselmans, etc. Ce qui a changé c’est la popularité de la harpe,grâce à laquelle nous pouvons enfin nous concentrer sur la musicalité des oeuvres et l’interprétation, et non plus sur l’instrument marginal à démocratiser. Emmanuel Ceysson, Anaïs Gaudemard, Anneleen Lenaerts sont des excellents harpistes, mais avant tout des musiciens avec des personnalités très différentes.

Dans le répertoire symphonique et dans le ballet, on connaît de très belles parties solistes de harpe, mais dans le répertoire lyrique, elle semble plus discrète. Qu’est-ce qui vous séduit dans votre fonction de harpiste d’une phalange opératique ?

Il n’existe rien de comparable en musique au répertoire symphonique et lyrique. C’est en orchestre et en opéra qu’on croise les plus belles pages musicales. Faire partie d’une telle formation est pour moi primordiale. Il y a quelque chose de surréel, à ressentir la puissance émotionnelle d’un groupe d’une telle ampleur. Sur scène ou dans la fosse, l’air vibre de l’énergie commune, les émotions sont décuplées par les sensibilités de chacun. A l’opéra il y a également de très belles parties pour la harpe, on pense bien sûr aux cadences de Donizetti (Lucia di Lammermoor ou l'Élixir d’Amour) ou de Tchaïkovski (Valse des Fleurs, Belle au bois dormant), mais également les Opéras de Wagner avec la Mort d’Isolde ou la Walkyrie.

Le site d’Agnès Clément : www.agnes-clement.com

Crédits photographiques : Tysje Severens

Le Rossignol en Amour. Oeuvres de Daquin, Parish-Alvars, Couperin, Liszt, Rameau, Hindemith, Posse. Agnès Clément, harpe. 1 CD Genuin. GEN 19624.

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