La modeste discographie de Sir Arthur Bliss chez Decca
Sir Arthur Bliss - The Decca Originals. Sir Arthur Bliss (1891-1975) : Welcome the Queen, marche F. 95 ; Things to come, suite du film éponyme, F. 131 ; A Colour Symphony, F. 106 ; Introduction and Allegro, F. 117 ; Baraza, musique du film Men of Two Worlds, F. 121 ; Concerto pour violon, F. 111 ; Theme and cadenza pour violon et orchestre, F. 120 ; Quatuor à cordes n° 2 en fa mineur, F. 26. Alfredo Campoli, violon. Eileen Joyce, piano. Griller Quartet. Chœur d’hommes et National Symphony Orchestra, direction : Muir Mathieson. London Philharmonic Orchestra, London Symphony Orchestra, direction : Sir Arthur Bliss. Enregistré entre février 1946 et mai 1957 aux Kingsway Hall, Walthamstow Assembly Hall, Decca Studios West Hampstead, Londres. Édition 2020. Livret en anglais. 1 double CD Decca « Eloquence » 4840215.
Signalons d’emblée qu’il ne s’agit pas ici d’une intégrale Decca du compositeur-chef d’orchestre anglais Sir Arthur Bliss (1891-1975), puisqu’il y manque la version originale 78 tours de la musique du film Things to come gravée en 1935 conjointement avec Muir Mathieson (1911-1975), ainsi que les cinq Marches Pomp and circumstance d’Edward Elgar, enregistrées au même moment que la Marche Welcome the Queen en mai 1957.
N’ayant consacré que peu de temps à ce qui est qualifié vaguement de « musique moderne », Sir Edward Elgar, le grand homme de la musique anglaise, fut toutefois profondément impressionné par le jeune Arthur Bliss et lui en donna la preuve à plusieurs reprises : la plus importante fut de persuader le Comité du Three Choirs Festival d’inclure l’une ou l’autre œuvre de Bliss dans leurs programmes. Cela aboutit à une commande dont voici le produit, des propos mêmes du compositeur : En 1921, Elgar m’a invité à écrire une nouvelle œuvre pour le Three Choirs Festival qui se tiendrait l’année suivante. Cette Colour Symphony en est le résultat et j’ai dirigé la première représentation avec le London Symphony Orchestra dans la cathédrale de Gloucester le 7 septembre 1922. L’œuvre résulte de ma rencontre accidentelle avec un livre sur l’héraldique dans lequel les significations symboliques associées aux diverses couleurs m’ont influencé : j’ai donné à chacun des quatre mouvements de la symphonie un caractère correspondant à une couleur particulière et à sa signification héraldique. Dans cette partition des plus immédiatement attrayantes de Sir Arthur, non seulement l’influence d’Elgar est parfois apparente comme dans toute musique que Bliss produit pour des occasions royales (comme la Marche noble et chaleureuse Welcome the Queen de mai 1954) ou cérémonielles, mais Ravel, Milhaud ou Stravinsky ne sont jamais bien loin.
De nature plus introspective, l’Introduction and Allegro fut écrit peu de temps après la première visite de Bliss en Amérique en 1923, et est dédié à Leopold Stokowski dont les interprétations avec le Philadelphia Orchestra lui ont fait une impression indélébile. Sous forme de structure symphonique, l’œuvre est construite sur base d’une seule et simple succession de notes d’une gamme mineure montante et descendante.
Deux musiques de film d’Arthur Bliss sont présentes sur ce double CD : la Suite de Things to come (1935) et Baraza, sorte de mini-concerto pour piano issu du film Men of Two Worlds (1945). Si ce dernier, dirigé par le génial spécialiste des musiques de film Muir Mathieson, fait partie de la multitude de ces œuvrettes concertantes plutôt agréablement inoffensives mais parfois insipides qui pullulèrent dans les années 40 et dont le modèle absolu, une réussite par contre, est le Concerto de Varsovie de Richard Addinsell (1904-1977), au moins l’œuvre de Bliss se distingue par l’adjonction d’un chœur d’hommes au piano, tenu ici brillamment par l’Australienne Eileen Joyce. Things to come est d’un tout autre calibre, tant musical qu’historique : Bliss a en effet été l’un des premiers compositeurs d’envergure à écrire de la musique spécialement pour le cinéma, en compagnie de musiciens aussi remarquables que Honegger, Prokofiev ou Walton, et Things to come, basée sur un roman d’H. G. Wells, est la première musique de film britannique d’importance. Bliss était conscient de la qualité de cette musique et il en a tiré la brève Suite ici présente.
Le légendaire Quatuor Griller britannique a pas mal enregistré chez Decca, notamment des compositeurs « modernes » tels que Bax, Bloch, Ferguson, Ropartz, Rubbra, Sibelius, et Bliss qui écrivit son Quatuor à cordes n° 2 (1950) pour leur vingtième anniversaire. C’est devenu l’œuvre de chambre la plus importante que j’aie essayée … Je suis presque sûr que je n’ai jamais écrit plus brillamment pour les cordes, dit le compositeur, et l’admirable Griller Quartet nous livre de ce chef-d’œuvre une interprétation remarquablement aboutie par sa concentration soutenue et son lyrisme assumé.
Le Concerto pour violon (1955), dédié à et joué par Alfredo Campoli, nous paraît plus disparate, et il est vrai que le compositeur lui-même déclara : À mon horreur il dure 39 minutes - je pense que c’est beaucoup trop long pour un public. L’enregistrement Decca de novembre 1955 fut réalisé dans l’intégralité de l’œuvre ; toutefois après audition des épreuves-test, Bliss insista de couper douze mesures (29 à 40) du deuxième mouvement Scherzo, et c’est cette version tronquée qui entacha toute la production de disques ultérieure. Toutefois cette édition Eloquence australienne est la première à restaurer l’intégrité de la version complète initiale.
Issu d’une musique de scène de Bliss pour une pièce radiophonique écrite par sa femme Trudy, le Theme and cadenza pour violon et orchestre (1946), donc œuvre antérieure au Concerto, est lui très bref mais très violonistique, et Campoli nous en donne une interprétation d’une séduction enchanteresse, telle qu’un musicien italien pouvait nous offrir.
Au total, un excellent portrait d’un compositeur vraiment attachant, dans d’excellents transferts en CD, et des interprétations exhaustives du compositeur lui-même.
Son : 9 - Livret : 9 - Répertoire : 8 - Interprétation : 9
Michel Tibbaut