Namur : avenant portrait du nouvel orgue Thomas de l’église Saint-Loup, par Benoît Mernier

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Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Fantaisie et Fugue en sol mineur BWV 542. Fantaisie en ut mineur BWV 562. Pièce d’orgue BWV 572. Wachet auf, ruft uns die Stimme BWV 645. Ach bleib bei uns, Herr Jesu Christ BWV 649. Nun komm, der Heiden Heiland BWV 659. Allein Gott, in der Höh sei ehr BWV 663. Dietrich Buxtehude (1637-1707) : Praeludium en ré mineur BuxWV 140. Nun komm, der Heiden Heiland BuxWV 211. Nikolaus Bruhns (1665-1697) : Nun komm, der Heyden Heyland. Benoît Mernier, orgue Thomas de l’église Saint-Loup de Namur. Livret en français, anglais. Juin 2024. TT 65’15. Cyprès CYP1686

Amuïe depuis un demi-siècle, la tribune de l’église Saint-Loup a retrouvé en 2023 un souffle à la mesure de l’édifice hérité des Jésuites. Issu de la Manufacture Thomas, ce tout récent orgue s’inspire de la facture baroque germanique, à l’instar de quelques insignes prédécesseurs non loin de là chez nos voisins : le Freytag-Tricoteaux (2001) de l'église Saint-Vaast de Béthune, ou le Guillemin (1994) de l'église Saint-Nicolas de Wasquehal. Certes dans un buffet encore plus fourni, l’on trouverait peut-être un Cornet 2’, des Mixtures ou un Posaune 32’ au pédalier. Mais la nomenclature de quarante jeux avec Principal 8’ au Rückpositiv, Fagott 16’ au Hauptwerk, atteste déjà de l'ambition des concepteurs, et garantit une large palette de textures et couleurs.

Elle combine une double esthétique sonore, que fréquenta Johann Sebastian Bach durant sa carrière : celle d’Allemagne moyenne (Saxe, Thuringe) mais aussi septentrionale dans la manière d’Arp Schnitger (1648-1719). Cette composante nordique induit le programme, « pensé sous l’angle de la transmission et des influences », convoquant en vedette l’illustre Cantor de Leipzig, et deux figures majeures du répertoire hanséatique : Dietrich Buxtehude, que le jeune Bach vint entendre à la Marienkirche de Lübeck en 1703, et Nikolaus Bruhns, génie prématurément disparu.

Pertinemment choisi, le magistral Praeludium en ré mineur BuxWV 140 s’avère une pièce emblématique du Stylus Phantasticus, de structure multisectionnelle et au langage contrasté, servi par les anches du lieu et une interprétation rigoureusement zélée. S’il s’agissait de filtrer le catalogue BWV à l’aune de l’esthétique buxtehudienne, on songerait à l’ombrageux diptyque BWV 551 en la mineur, un opus de la série des BWV 530, voire à la Toccata et Fugue en mi majeur BWV 566, datée de 1708… tout comme la douloureuse Fantaisie BWV 562 retenue en ce CD mais qui se rattache moindrement à l’univers expressif du maître lübeckois. Du moins cette page amère s’inscrit-elle en symétrie de climat avec la Fantaisie en sol mineur qui referme le disque, telle un « terrible et délicieux catafalque » pour citer Charles Baudelaire relatant sa visite à l’église Saint-Loup.

Outre les ferments nordiques, le choral de l’Avent Nun komm, der Heiden Heiland constitue un autre fil rouge : on l’entend traité par les trois compositeurs, ces « trois B » dont parle le livret et auxquels aurait pu s’adjoindre un quatrième, en la personne de Georg Böhm (1661-1733), autre tutelle de l’élève Bach lors de son apprentissage à Lunebourg, cultivant l’ornementation à la française et les « goûts réunis ». Un pas vers le royaume de François Couperin et Nicolas de Grigny, dont d’une certaine façon témoigne le BWV 572 et son majestueux développement harmonique central, où l’on peut admirer le grand plein-jeu réglé par Dominique Thomas.

Quoiqu’en l’état le portrait de ce superbe instrument se montre suffisamment éloquent, le minutage de soixante-cinq minutes aurait pu être abondé par un complément qui valorisât encore les registrations de détail. Ainsi une Choralpartita de Bach, le vaste Nun freut euch, lieben Christen g'mein BuxWV 210… ? Gourmandise ! signifiant surtout qu’on aurait aimé qu’une telle réussite se prolonge. L’appoint du célébrissime choral dit « du veilleur » (Wachet auf, ruft uns die Stimme) contribue à désigner cette parution comme une séduisante anthologie du Baroque germanique, bardée d’œuvres bien connues. De tels repères compilent une consensuelle carte de visite pour la nouvelle console de la capitale wallonne. Benoît Mernier en exploite les ressources avec bonheur, à l’exemple de cet Allein Gott, in der Höh sei ehr qui s’exhale des tuyaux avec une poésie patiente et raffinée.

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

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