Œuvres vocales de James Whitbourn : éloquent panorama de son style néoromantique

par

James WHITBOURN (1963) : The Seven Heavens ; Ada ; Video caelos apertos ; The Voices Stilled ; Eternal Rest ; Gratias agimus tibi ; Canticle of Mary ; Canticle of Simeon. Eric A Johnson, ensemble Cor Cantiamo. Mai 2017. Livret en anglais (paroles des chants en anglais et latin). TT 65’26. Divine art, dda 25192.

Écrivain, historien, érudit des religions, professeur à Oxford et Cambridge, c’est Clive Staples Lewis (1898-1963) qui inspira The Seven Heavens : cette cantate établit des correspondances entre la trajectoire personnelle de l’homme de lettres britannique et sept astres qui fondaient la semaine dans la mythologie antique : Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus, Saturne, Soleil. Les moments de son existence ont été découpés par l’universitaire Michael Ward en thèmes renvoyant à ces divinités et leur caractère emblématique (à l’instar de Gustav Holst dans ses Planets). Ce qui fournit une série de séquences biographiques dont le texte doit être lu (ou su) par l’auditeur, en filigrane des chants. Quand on sait que Lewis, grand médiéviste, s’intéressa à la cosmologie et en imprégna certaines de ses fictions (Chronicles of Narnia), on devine le réseau de significations croisées qui alimenta la musique de James Whitbourn. On songe aussi aux Cloches de Rachmaninov, dont la structure nous mène du berceau à la tombe. The Seven Heavens fut d’abord conçu pour grand orchestre, honorant une commande de la Philharmonie de Belfast (ville de naissance de Lewis) pour clôturer la saison 2014-2015, puis adapté pour un petit effectif instrumental accompagnant le chœur, à la demande d’Eric Johnson. La première audition de cette version chambriste eut lieu en novembre 2016 à la Northern Illinois University par l’ensemble Cor Cantiamo que nous entendons ici. Les paroles proviennent des Hymnes orphiques, de Shakespeare, Thomas Lodge, Shelley… Des allusions sonores (sirènes de navires dans l’anse de Belfast Lough dans The Moon, horloge du Magdalen College dans Mars, et d’autres lieux fréquentés par Lewis…) parcourent aussi la partition globalement construite selon le cycle des quintes. D’une pièce à l’autre, le langage surprend par sa variété, même s’il demeure suggestif, accessible, consonant, généreux. James Whitbourn sait communiquer. On ne détaillera pas ici ce subtil travail d’écriture, explicité dans le livret. Mentionnons toutefois quelques étapes et effets.

Piano, triangle, violon solo humectent l’évocation attendrie des jeunes années. L’émotion s’empare aussi de Mars, quoique cet épisode angoissé se strie par ailleurs de bruits de guerre (remémorant que l’auteur servit comme lieutenant dans la Somerset Light Infantry). Mercure, le passeur, le messager, illustre la rencontre avec J.R.R. Tolkien qui influença la conversion au christianisme, à une époque où Lewis abandonna la poésie pour la prose et la carrière académique. L’astre jovien, auquel Lewis s’associait volontiers, rayonne d’une débonnaire joie de vivre : le livret n’en fait pas mention, mais on décèle la mélodie en canon de la rota médiévale Sumer is icumen in, au sein d’une jactance fleurie et printanière. Émacié autant qu’énamouré, Venus se penche sur l’union avec l’écrivaine new yorkaise Joy Davidman, qui disparut prématurément du cancer (cette relation fit l’objet du film Shadowlands en 1993, avec Anthony Hopkins et Debra Winger). Le volet suivant, Saturne, introduit par de sombres voix graves, prolonge ce deuil, et dépeint le propre déclin de Lewis dont l’épitaphe porte une phrase du Roi Lear : « Men must endure their going hence ». Mais ce portrait en musique ne s’arrête pas sur cette vision fatidique et triomphe sur un espoir de résurrection, suivant les aspirations que Lewis avait développées dans ses Letters to Malcolm. Cette radieuse apothéose cite la devise de l’Université d’Oxford (Dominus illuminatio mea) et se conclut par un rappel de la ritournelle associée à Jupiter.

Le programme se poursuit par d’autres récentes créations. Ada (2015) est un portrait d’Ada Lovelace (fille de Lord Byron) commandé par un de ses descendants, le cinquième Comte de Lytton. La mathématicienne possédait un Stradivarius, ce qui explique pourquoi le violon domine l’instrumentation. James Whitbourn a utilisé son prénom comme empreinte mélodique (la-ré-la dans la terminologie anglaise) qu’il insère à trente-six reprises, une pour chaque année de la vie de la jeune femme. Le texte est emprunté au Childe Harold’s Pilgrimage de son célèbre père.

Eternal Rest fut initialement rédigé pour orchestre à l’occasion des funérailles de la Reine-Mère Elizabeth (2002), puis réduit en antienne épurée avec orgue sur les paroles du Requiem. Nous entendons ici une troisième mouture, spécialement pensée pour cet enregistrement, colorée par un panel d’instruments. Les deux Canticles pour Marie et Siméon résultent d’une commande du RSCM Millenium Youth Choir pour leurs offices au York Minster. Le compositeur s’est plongé dans l’histoire et la signification de ces personnages bibliques, qu’il resitue dans leur perspective judaïque par un contour harmonique, prosodique et mélodique nettement dérivé de la musique juive. Alto et orgue renforcent la complainte. Magnifique !

Peut-être connaissez-vous déjà Annelies (tiré du Journal d’Anne Frank), une des œuvres les plus jouées de James Whitbourn, dont le catalogue figure au répertoire des notoires ensembles choraux universitaires du Royaume-Uni. Sa discographie compte quelques CDs. Celui-ci, remarquablement interprété, rassemble des pages représentatives de son style homogène, communicatif et direct, qui ne cherche pas midi quand quatorze heures sonnent à Big Ben. Cette éloquence décomplexée n’a pas besoin d’autre avocat que son art chaleureux, spontané, fervent, qui parle au cœur et saura vous conquérir comme tel.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 10 – Répertoire : 8 – Interprétation : 10

 

 

 

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