William Byrd, avant les Beatles

par

S’il n’a tout joué -est-ce possible ?- Andreas Staier, passionné d’instruments historiques, a le plus large regard sur la littérature pour clavier. Ses interprétations, toujours remarquées, couvrent plus de trois siècles de musique. Epris de musique élisabéthaine, de Byrd tout particulièrement, depuis son adolescence, il avait gravé pour Teldec un splendide programme consacré au musicien. Dix-huit ans après, il devait y revenir en avril dernier, pour deux récitals, intitulés « Weep, weep, oh Walsingham » et « John Come kiss me now », du nom de deux célèbres variations, toutes deux transmises par le Fitzwilliam Virginal Book. La pandémie en avait décidé autrement. Aussi, la réouverture progressive des lieux de concert autorise-t-elle maintenant de retrouver l’un des plus curieux, des plus humbles et des plus attachants de nos claviéristes, dont chacune des apparitions est un événement. Tour à tour, Andreas Staier jouera deux magnifiques instruments : la copie d’un clavecin florentin du XVIIe siècle et un somptueux virginal, copie de celui du roi Charles II d’Angleterre (1664). Le public est invité à monter sur scène où il prend place en arc de cercle face à la salle, un large paravent noir limitant l’espace et mettant en valeur les instruments signalés plus haut. Ainsi, le caractère intime des œuvres trouve-t-il un cadre visuel et acoustique idéal.

Au risque de sembler contredire Andreas Staier, les rivalités religieuses qui agitaient alors l’Angleterre ne nous semblent pas propres à éclairer son œuvre pour clavecin. Catholique de naissance resté fidèle à Rome, ou anglican tardivement converti au catholicisme, il demeura organiste de la Chapelle royale et bénéficia durablement de faveurs. Ses compositions pour clavecin, bien qu’essentielles, n’occupent qu’une petite place dans son œuvre. Tout en ayant obtenu le privilège de l’édition, jamais il ne les publia. Byrd, l’un des tout premiers maîtres de la variation, qu’elles soient mélodiques ou sur basse obstinée (ground), nous laisse plus d’une centaine de pièces pour virginal, clavecin ou épinette. S’inscrivant entre le faux-bourdon médiéval et… les Beatles (dixit A.S.), profondément anglais, son art vaut par sa simplicité, son invention renouvelée où contrepoint et harmonie se combinent idéalement.

Une dizaine d’oeuvres résument les multiples facettes de l’art de Byrd. Leur énumération serait fastidieuse. Disons simplement qu’elles permettent à l’auditeur de se familiariser aux formes et techniques du génial créateur (« un des plus grands de tous les temps » confiera Andreas Staier) : grounds, fantaisies, pavanes, gaillardes, allemandes, courantes, pièces descriptives… Chacune d’elles est introduite par un commentaire pertinent. Nos préférences iront aux deux fantaisies (ut majeur et la mineur), à The woods so wild, narration contrastée où l’humour est bien présent, et à John come kiss me now, d’une exceptionnelle richesse d’invention.

Andreas Staier excelle à rendre à ces pièces toute leur vie. Toujours le clavier chante, respire, avec une grande liberté des phrasés, souples, comme des diminutions aussi agiles que légères. La clarté des plans est exemplaire. Son bonheur de retrouver le public est réciproque, et la joie comme l’émotion sont bien présentes, favorisées aussi par le cadre du concert. Une soirée inoubliable.

Dijon, Grand-Théâtre, le 22 septembre 2020

Yvan Beuvard

Crédits photographiques :  Opéra de Dijon / Gilles Abegg

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