Faust de Gounod mis en scène par David McVicar : un DVD sulfureux

par

Centrale Discotheek Rotterdam

Charles Gounod (1818-1893) : Faust, opéra en cinq actes. Michael Fabiano (Faust), Erwin Schrott (Méphistophélès), Irina Lungu (Marguerite), Germán E. Alcántara (Wagner), Stéphane Degout (Valentin), Marta Fontanals-Simmons (Siébel), Carole Wilson (Marthe) ; Royal Opera Chorus et Ballet ; Orchestre du Royal Opera House, direction. 2018. Notice en anglais. Pas de livret. Sous-titres en anglais, en français, en allemand, en japonais et en coréen. 178.00 (+ extra de 8.00). Un double DVD Opus Arte 0A 1330D. Aussi disponible en Blu Ray.

L’opéra le plus célèbre de Charles Gounod connaît une belle existence dans le domaine du DVD/Blu Ray. Des versions de grande qualité existaient déjà, notamment celles d’Alagna/Terfel/Gheorgiu avec Pappano à Londres, déjà dans la mise en scène de McVicar (Warner), de Kaufmann/Pape/Poplavskaya avec Nézet-Séguin au Metropolitan (Decca), ou celle de Beczala/Abdrazakov/Agresta avec Pérez à Vienne (EuroArts). Sans oublier, plus loin dans le temps, celle, dérangeante, produite par Ken Russell, en 1985, encore à Vienne, dans laquelle Ruggero Raimondi, voix d’airain, était un terrifiant Méphistophélès (DG). Le label Opus Arte ajoute un fleuron à cette série de références, avec cette production de 2018, signée par David McVicar et proposée au Royal Opera House. Un fleuron si remarquable qu’il prend aisément place tout en haut de la liste des références. 

La force de Faust consiste en sa musique, magnifique, avec des airs si connus qu’ils sont définitivement inscrits dans l’oreille de chaque mélomane. Les trois heures que l’on passe avec le présent film se vivent comme un enchantement. On ne sait par quoi  commencer pour exprimer son enthousiasme : l’intelligence de la mise en scène, qui souligne la vivacité de l’action, ainsi que son côté dramatique et fantastique en même temps, ou les décors, entre loge de théâtre, immense orgue d’église au son gigantesque, crucifix démesuré (d’où va jaillir le vin au premier acte, comme du sang prémonitoire), sculptures d’église monumentales (l’une d’entre elles se transforme en Mephisto), cierges à foison, fond de scène à tendance gothique, maison de Marguerite sobrement évoquée entre obscurité et teintes ambrées, luxuriance pour la nuit de Walpurgis ou gigantesques barreaux pour la prison. A moins que ce ne soit l’ambiance générale, assez sombre, mais illuminée par des couleurs rouges, bleues, grises ou dorées, qui donnent au récit sa densité, et les lumières, dosées habilement par Paule Constable. Mais il faut encore citer les mouvements de foule, l’utilisation judicieuse, mais modérée, de trappes, les ballets en style cancan du premier acte qui font pendant à ceux, classiques, de la nuit dans le Harz du cinquième acte, ce classicisme n’excluant pas une part de provocation érotique. 

Une réussite ne venant jamais seule, les costumes de Brigitte Reiffenstuel, qui rappellent l’époque du second Empire où l’opéra a été composé, sont somptueux ; quant à la scénographie de Charles Edwards, elle est très efficace, la concentration du drame intime se situant dans un espace, somme toute limité, qui prend une dimension universelle. Du grand art, d’autant plus que les prises de vue alternent les gros plans et les scènes d’ensemble avec un sens magistral du suivi théâtral. Ajoutons à cela un plateau vocal de première force, un chœur en pleine forme et un orchestre investi, qui brille de mille feux, sous la baguette précise et vivace du chef israélien Dan Ettinger ; n’en jetons plus, la coupe est pleine.

Plateau vocal de première force donc, le seul trio « Anges purs, anges radieux » en fait foi. Il faut préciser que les trois protagonistes principaux n’en sont pas à leur première expérience faustienne. Le ténor américain Michael Fabiano a chanté le rôle de Gounod dès 2014 à Amsterdam (il avait 30 ans), avant de le reprendre à Sidney ou à Houston. On sent qu’il a approfondi la psychologie du personnage : il est tout aussi convaincant en vieillard qui saisit l’opportunité de récupérer sa jeunesse au risque de se perdre, qu’en fringant séducteur ou en repenti face au sort de Marguerite. La voix est sûre, bien posée, dans une impeccable tessiture ; Fabiano lance des notes aigües avec aisance, conserve une ligne de chant séduisante de bout en bout et, de plus, utilise la langue française comme si elle était celle de sa naissance. Tous ses airs sont éloquents, d’où émergent, pour ne citer que ceux-là, l’initial « Salut ô mon dernier matin » qui claque comme un désespoir plein de désir, ou « Demeure chaste et pure », d’une irréprochable fluidité. Fabiano possède par ailleurs la capacité d’une véritable caractérisation théâtrale. 

Face à lui, le baryton-basse Erwin Schrott incarne Méphistophélès depuis une dizaine d’années : il l’a notamment chanté à Monte-Carlo et à Barcelone. Le personnage lui colle à la peau (il a été aussi le Méphisto de l’opéra de Boïto) et sa conception, si elle peut surprendre par certains côtés, est une réussite. Plus roublard que satanique, plus rusé que démoniaque, il demeure un sulfureux destructeur. La voix de Schrott est vibrante, avec des registres variés que l’on pourrait qualifier de pluridimensionnels. Lorsqu’il lance au premier acte son air « Le veau d’or est toujours debout », il est très impressionnant. Dans les quelques minutes d’extras qui sont ajoutées à la production, Schrott dit que, pour lui, ce moment de bravoure est « le rock de l’opéra », une image qui fixe son idée du rôle, que certains trouveront peut-être parfois un peu caricatural. Ils auront tort : c’est un Méphisto manipulateur qui est présenté et complètement assumé.

C’est la soprano moldave Irina Lungu qui se glisse dans le rôle si émouvant de Marguerite, qu’elle chantait déjà à la Scala en 2010. Belle diction à l’appui, la voix est bien contrôlée, en pleine maturité de la quarantaine, avec un vibrato léger et des notes aigües justement distillées. On sent que ce rôle lui convient, quand elle s’abîme dans la découverte de sa beauté dans le fameux air des bijoux, ou lors de l’imploration à l’église ou de la scène de la prison, où folie et désespoir se mélangent. Blonde jusqu’au dernier acte, elle apparaît alors, expression hagarde et cheveux courts, telle que l’on peut la souhaiter : jugée par Méphisto, mais tout de suite sauvée par la grâce divine. Même si l’opéra entier est imprégné de la religion qui habitait Gounod, ce n’est pas cette dernière qui domine ici, malgré la présence de signes qui s’y rapportent, c’est plutôt la profonde douleur de l’amour bafoué et trahi. C’est peut-être dans cette dynamique là que réside le vrai secret de la grande réussite de la production. 

Il serait injuste de ne pas évoquer les autres protagonistes du chant : Germán E. Alcántara en Wagner, Carole Wilson en servante Marthe, Marta Fontanals-Simmons en Siébel, amoureux déçu, et surtout Stéphane Degout en Valentin, superbe de présence et de beauté vocale. Les chœurs sont à la fois exaltants et énergiques : « Gloire immortelle de nos aïeux » est un moment d’anthologie. Quant aux magnifiques danseurs et danseuses, parmi lesquels évoluent des étoiles comme Megan Griffiths ou Yasset Roldan, ne pas les nommer relèverait de l’ingratitude. Le public ne ménage pas ses applaudissements frénétiques, y compris pendant le spectacle. Celui-ci est digne au plus haut point d’être vu et revu à domicile.

Note globale : 10

Jean Lacroix

 

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