Sur les traces d’Orlando avec Filippo Mineccia et le New Baroque Times

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Orlando, amore, gelosia, follia. Agostino STEFFANI (1654-1728) : Orlando generoso : trois extraits. Nicola PORPORA (1686-1768) : L’Angelica, deux extraits. Antonio VIVALDI (1678-1841) : Orlando furioso, deux extraits. George Friedrich HAENDEL (1685-1759) : Ariodante, trois extraits et Orlando, un extrait. Giovanni Baptista MELE (1693 ou 1701 - après 1751) : Angelica e Medoro, un extrait. Georg Christoph WAGENSEIL (1715-1777) : Ariodante, un extrait. Giuseppe MILLICO ? (1737-1802) : Angelica e Medoro, trois extraits. Filippo Mineccia, contreténor ; The New Baroque Times. 2019. Livret en anglais et en français. Textes des airs en italien avec traduction anglaise. 70.00. Glossa GCD 923523.

Le premier enregistrement d’un ensemble bruxellois à géométrie variable ne peut être que l’objet d’une écoute attentive, en l’occurrence ici le New Baroque Times dont les concerts révélent les qualités depuis ses débuts fin 2012. Son fondateur et directeur artistique, Pablo Garcia, né à Valence, est notamment titulaire d’un master en violon baroque du Conservatoire de notre capitale. En résidence à l’Instituto Cervantes de Bruxelles, le New Baroque Times s’est voué à la musique des XVIIe et XVIIIe siècles avec instruments et pratiques d’époque. Pour son premier CD, il propose un programme autour du thème de l’amour, de la jalousie et de la folie, à partir du poème épique Orlando furioso de l’Arioste, constitué de quarante-six chants, publié en 1516 et réédité deux fois. L’œuvre, parmi les plus célèbres de la Renaissance, a inspiré plusieurs compositeurs dès les années qui ont suivi sa parution, notamment Bartolomeo Tromboncino et Roland de Lassus, bientôt suivis par Cacccini, Rossi, Lully ou Alessandro Scarlatti, pour ne citer qu’eux. Gluck, Haydn ou Méhul s’y intéresseront aussi. 

Il faut dire que le sujet, dramatique, se prête aux emprunts, ce que n’ont pas manqué de faire littérateurs ou peintres. En dehors d’épisodes secondaires, l’épopée tourne autour de deux axes : la guerre entre Charlemagne et les Sarrasins, et la folie du chevalier Roland rejeté par Angélique, une princesse chinoise qui aime un soldat ennemi. La notice du livret, rédigée par Jorge Morales, rappelle que « les nombreux épisodes du poème mettent en scène l’opposition entre l’esprit guerrier et le désir amoureux » et que « la force de l’imaginaire du texte est à l’origine de son très grand succès ». Pour illustrer cet imaginaire, des airs et moments instrumentaux tirés des œuvres de huit compositeurs du XVIIe siècle finissant ou du XVIIIe siècle.

La partie vocale est confiée au contreténor florentin Filippo Mineccia (°1981) qui a tenu de nombreux rôles dans des opéras de Haendel, mais aussi dans des œuvres de Bach, Caldara, Haydn ou Vivaldi, dont le récent rôle-titre du Tamerlano de ce dernier pour le label Naïve. Ce choix se révèle idéal dans toutes les séquences du programme, car Mineccia a les qualités requises pour aborder les diverses facettes esthétiques que l’on rencontre ici : timbre affirmé, ampleur et densité, variations et nuances des couleurs, équilibre de l’émission, contrôle des notes aiguës, fluidité des passages légers, expressivité capable de modifier son contenu en fonction des sentiments éprouvés… Cela donne un feu d’artifice qui ne baisse jamais de tension et transporte l’auditeur dans l’univers franco-vénitien de Steffani, dans les modulations napolitaines de Porpora avec de superbes airs -dont l’Ombre amene- évoquant les liens entre nature et amour ou la fureur d’un Roland jaloux, tirés de L’Angelica, œuvre dans laquelle Farinelli fit ses débuts, ou dans les sonorités vivaldiennes très théâtrales, avec les airs Sol da te, mio dolce amore et Nel profondo cieco mondo de l’Orlando furioso de 1727 du Prêtre roux. On trouve encore des premières mondiales au disque d’extraits de pages de Wagenseil (air de tempête), Mele (style vocal napolitain) et Millico (tendance pastorale). Et bien sûr, Haendel, qui n’a plus de secret pour Mineccia. Le récitatif Ah, Stigie larve ! d’Orlando est d’un élan dramatique prenant ; Spero per voi et Dover, giustizia, amor, tirés d’Ariodante, sont héroïquement virtuoses. L’ambiance générale du disque est généreuse, dynamique, vivante et aussi très charnelle : le soliste ajoute une incarnation engagée à son investissement vocal. Il a raison de dire, dans une note du livret qu’il signe, que « ce programme musical est donc une réflexion sur la passion amoureuse capable de bouleverser nos vies, sur ce sentiment décrit par Shakespeare comme « la plus sage de toutes les folies ». Cette passion amoureuse, Mineccia la livre corps et âme, avec une grande vérité.

Le New Baroque Times emmené par Emmanuel Resche est un digne partenaire de cette voix envoûtante. Il ne se contente pas de la soutenir dans les arcanes dramatiques de l’amour enflammé, de la colère ou de la jalousie. Il lui propose un contexte instrumental au cœur duquel le soliste peut laisser son tempérament se déployer dans tous ses frémissements. Les parties instrumentales sont soignées et jouées avec fraîcheur, finesse et fluidité. Pour Mineccia, ce CD est une confirmation de son remarquable talent. Pour le New Baroque Times, c’est bien plus qu’une carte de visite, c’est le reflet d’un travail commun et complice. Nous attendons avec intérêt la parution d’un témoignage ultérieur qui, espérons-le, ne saurait tarder. Excellente image sonore pour cet enregistrement réalisé aux Studios Dada de Bruxelles à la fin du mois de novembre 2019. Les amoureux de baroque seront enchantés.

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10 

Jean Lacroix    

 

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