Ophélie Gaillard, Lucile Richardot et le Pulcinella Orchestra : glorieuse trinité au festival de Saintes

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Ce 24 juillet, Saintes s’est plus que jamais accordée au féminin pluriel. Accompagnées de sept acolytes en grande forme, deux femmes auréolées de talent y ont fait vibrer les murs quasi millénaires de l’église Sainte Marie de la cité musicale charentaise. 

Le festival musical de Saintes fêtait cette année son 50e printemps. Sans doute n’en fallait-il pas davantage pour que fût mis à l’honneur, le temps d’un concert, l’auteur des fameuses Quattro Stagioni. Retransmis en direct dans les jardins de l’abbaye, l’événement draina un public nombreux, qui communia sans modération à l’enthousiasme des artistes. 

Ophélie Gaillard, à la tête de l’ensemble Pulcinella, formation à géométrie variable dont elle est directrice artistique, confirma, à ceux qui n’en avaient encore entendu que les enregistrements aguichants réalisés pour le label Aparté, l’agilité et la délicatesse de son jeu. Qui ne se souvient de son intégrale des sonates pour violoncelle et basse continue de Vivaldi ou, plus récemment, du double album, consacré au même compositeur, à l’occasion duquel la celliste franco-helvétique et ses comparses convoquèrent, pour notre plus grand plaisir, la mezzo-soprano Lucile Richardot et la contralto Delphine Galou ?    

Bien que presque exclusivement consacré au Prêtre Roux, le programme de ce concert, très intelligemment conçu, fut d’une fraîcheur bienvenue : mêlant airs d’opéra et œuvres instrumentales, il ravit les sens tant par la variété formelle des œuvres présentées que par la diversité des affects qui les parcouraient. De prime abord intime, sinon retenue, la sonorité de l’ensemble gagna rapidement en assurance et en profondeur, à l’exception, hélas, de celle du clavecin, dont les guirlandes d’accords brisés peinaient à franchir l’enceinte des instruments à cordes. A une assertivité grandissante, les musiciens conjuguèrent un souci prononcé des contrastes, à la faveur d’une articulation extrêmement soignée.  

Fièrement enlacée à son violoncelle de 1737, œuvre de Francesco Goffriller, Gaillard s’avéra d’entrée de jeu séduisante dans le Concerto en sol mineur RV 416 du compositeur vénitien. A l’allegro initial, au fil duquel la soliste afficha une dextérité et une fluidité narrative déconcertantes, succéda un largo émouvant, plus proche de la forme sonate que du concerto - les violons et l’alto, au repos, laissant la soliste dialoguer tendrement avec le continuo. La grâce des démanchés n’avait d’égale que la finesse des ornements, joliment ciselés, jamais surfaits. A nouveau au grand complet, les musiciens se jouèrent avec brio des volutes de doubles croches de l’allègre dernier mouvement.

Convier au programme Giovanni Bononcini, qui fut lui-même chanteur et violoncelliste, et dont on fêtait l’an dernier le 350e anniversaire de la naissance, allait presque de soi. Quelques mesures (Preludio et Presto) de son Abdolomino précédèrent l’entrée en lice de Lucile Richardot, à juste titre l’une des voix les plus en vue de la scène musicale actuelle, triomphante dans l’air de bravoure « Da tuoi lumi fulminato », issu de l’Euleo festeggiante nel ritorno d'Alessandro Magno dall'Indie du même auteur. Délicieuse mise en bouche, annonciatrice du savoureux chapelet d’airs qui allait suivre. 

Du Concerto pour violoncelle en la mineur RV 419 de Vivaldi, nous n’entendîmes que le mouvement conclusif, un noble allegro sur basse obstinée que des castagnettes auraient presque suffi à muer en fandango. 

Douleur et cruauté s’invitèrent dans l’aria qui suivit, le célèbre « Gelido in ogni vena » tiré du deuxième acte de Farnace, dont le prélude instrumental, mystérieux et truffé de dissonances, n’est pas sans rappeler le premier mouvement de l’Hiver. Depuis la révélation de Perpetual Night (récipiendaire d’un Joker de Crescendo et d’un Prix Caecilia), on attendait immanquablement Richardot dans ce type de répertoire faisant la part belle aux effusions du cœur. Déroulant, avec une déroutante sincérité, une cantilène vibrante d’émotion, elle y fit montre de tout son art. Le bon goût qu’on lui connaît lui évita de verser dans un dolorisme à outrance : conjurant toute enflure, l’air qu’elle nous servit, aussi sombre, affligé et chargé de tension fût-il, avait des allures de confession intime. Les cordes, contrebasse en tête, se montrèrent ici d’une incroyable efficacité, donnant de cette aria une interprétation d’une grande sensibilité qui n’avait pas de baroque que le nom, parant chaque mesure de phrasés savoureux, aux accents et à la dynamique extrêmement contrastés, à même de traduire avec un égal réalisme le gel que la vue de son fils exsangue inocule insidieusement dans les veines de Farnace et les sursauts d’effroi qui lui transpercent le cœur. L’ovation qui rompit le silence à peine revenu au terme de ce bel exercice oratoire était mille fois méritée. 

De la Sinfonia pour cordes et basse continue RV 112, nous retiendrons surtout les teintes pastel dont les instrumentistes dotèrent le troisième mouvement, un Presto aux accents pastoraux que les musiciens accompagnèrent avec doigté dans un accelerando pétillant jusqu’au repos du dernier accord.

Léger encore, lumineux surtout, l’air de Tito Manlio, « Di verde Ulivo », prit congé des cordes. Richardot y rivalisa d’élégance avec le violoncelle solo et la basse continue.

Un vent de folie d’Espagne souffla ensuite sur Saintes : imparable « clou », la Folia RV 63 offrit aux violons de Thibault Noally et Mauro Lopes Ferreira, à la contrebasse de Hugo Abraham et à la guitare baroque de Rafael Bonavita, l’occasion de donner toute la mesure de leur virtuosité et de leurs dons de coloristes. 

Pour conclure, Lucile Richardot revint mêler sa voix profonde à l’ensemble instrumental dans deux airs provenant respectivement d’Orlando furioso et d’Andromeda liberata, « Sovente il sole » et « Rompo i ceppi ». Le timbre rond et charnu de la mezzo-soprano, au grain si particulier, drapa de soie le premier, lyrique et rêveur. Le second, fougueux, fut déclamé sur un ton vindicatif qui fit frémir l’auditoire. Les foudres dissipées, un sourire enchanteur apaisa heureusement les esprits.

Au comble du ravissement, le public rappela une première fois les musiciens, qui lui prodiguèrent un nouvel air de bravoure, extrait cette fois d’Ottone in villa, « frema pur, si lagni Roma », très belle fresque claire-obscure parsemée d’oasis de quiétude lacérées de fusées tempétueuses. La cantatrice y donna à entendre toute l’envergure de sa tessiture. Nouvelle ovation, avant un second bis : le « Cum dederit » du Nisi Dominus, invitation au recueillement. La messe était dite.

Largement redevable d’une évidente complicité entre les deux solistes féminines, l’interprétation saltatoire que nous livrèrent la neuvaine d’artistes, d’une justesse de ton remarquable, fut rehaussée par la fort belle acoustique de l’abbatiale de Saintes, dont la pierre blanche nimbée de reflets bleutés projetés par un vitrail aux anges était à l’image de ce concert : un splendide panaché d’ombre et de lumière !

Olivier Vrins

Crédits photographiques : Léa Parvéry-Bourasseau

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