Le 20 janvier dernier, Jeanine Roze Production et Les Grandes Voix ont offert un moment mémorable : une représentation en concert de Don Giovanni de Mozart. La distribution réunissait une légion de chanteurs français et francophones. Parmi eux, Florian Sempey incarnait le rôle-titre avec une maîtrise impressionnante.
Assister à Don Giovanni de Mozart, l’un des plus grands chefs-d’œuvre d’opéra, est toujours un événement — même sans mise en scène, comme ce fut le cas ce soir-là. À la place, une mise en espace de Mohamed El Mazzouji laissait une grande liberté à l’imagination du spectateur. Les chanteurs évoluaient devant l’orchestre, mais aussi parmi les musiciens, avec des entrées et sorties tant à l’avant qu’à l’arrière de la scène. Parfois, la salle elle-même était intégrée, une marche placée côté jardin permettant de rejoindre directement la scène.
Dans la version de Vienne (1788) présentée ce soir-là (malgré la mention « version de Prague » sur le programme), le final montrant la chute du libertin aux enfers, sous des lumières rouges intenses, n’exigeait aucun artifice visuel supplémentaire. La musique de Mozart dit tout, et l’ébranlement ultime du corps suffit à transmettre toute l’intensité dramatique. À cet instant, les cris de Don Giovanni, si arrogant et sûr de lui jusqu’alors, résonnent dans le vide, non sans ironie. Et quels cris ! Ceux de Florian Sempey, magistral.
Tout au long des deux actes, le baryton incarne avec un charisme évident le libertin dévoyé et sans scrupule. Il suit la musique de Mozart avec une intonation de l’italien remarquablement vivante, insistant délibérément sur les accents toniques, parfois jusqu’à générer une certaine violence dans la diction. Ainsi, les paroles se fondent naturellement dans la musique et vice versa, leur conférant une théâtralité saisissante. Au cœur de cette vivacité, la douceur musicale trouve également sa place, notamment dans la célèbre sérénade accompagnée à la mandoline par Anna Schivazappa. À travers ce passage, Florian Sempey révèle avec brio le narcissisme du tyran séducteur. Et quel plaisir pour le public !
Thomas Dolié endosse le rôle de Leporello, plus malin que d’être victime face aux caprices de son maître. Son physique élancé crée un effet de contraste bouffon à l’instar de Don Quichotte et Sancho Pança (mais à l’inverse), tout comme la situation similaire dans laquelle les deux laquais se trouvent. Outre son magnifique timbre de baryton, il déploie avec espièglerie les aigus pour accentuer le caractère de son personnage. Cyrille Dubois en Don Ottavio, remplace au pied levé Léo Vermot-Desroches, de sorte qu’il apparaît sur scène avec sa tablette. Sa voix résonne amplement, sans perdre le caractère confident de certains passages. Louis Morvan, à la fois le commandeur et Masetto, est beaucoup plus convaincant dans le premier que le dernier. Si son Masetto souffre quelque peu de statisme, ce même caractère fonctionne à merveille à la fin de l’opéra, conférant à l’homme de pierre une autorité et une froideur effrayante.