Martha Argerich et Charles Dutoit à Monte-Carlo

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L'Orchestre philharmonique de Monte-Carlo accueille à nouveau deux géants de la musique classique, la pianiste Martha Argerich et le chef d'orchestre Charles Dutoit dans un programme de rêve avec des chefs-d'œuvre de Maurice Ravel et de Claude Debussy. Bien évidemment, l’Auditorium Rainier III est archi-comble pour ce rendez-vous monégasque, attendu par les mélomanes de la région.  

Le Concerto pour piano (dit en sol majeur) de Ravel est un des concertos favoris de Martha Argerich. Son interprétation est chaque fois différente, pleine de nouvelles surprises. Elle joue moins vite et moins fort qu’auparavant et elle prend plus de temps pour dialoguer avec les musiciens de l'orchestre. Sa complicité avec Charles Dutoit est légendaire et la magie opère à nouveau.  C'est un triomphe et après une ovation debout et de nombreux rappels elle donne en bis les deux gavottes de la  Suite anglaise n°3 de Bach et les Traumes Wirren de Schumann.

Franz Liszt et Philippe Hersant par Alice Ader : vision de l’intangible

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Chimères. Franz Liszt (1811-1886) : La lugubre gondole I et II, S.200/1 et 2 ; Wiegenlied, S.198 ; Unstern ! Sinistre, disastro, S. 208 ; Trübe Wolken/Nuages gris S. 199 ; Im Traum/En rêve, S.207 ; Bagatelle sans tonalité, S. 216a ; Csárdás obstinée, S.225/2 ; Schlaflos ! Frage und Antwort, S. 203 ; Ossa arida, S. 55, transcription Philippe Hersant. Philippe Hersant (°1948) : In Black ; Fleuve d’oubli ; Paradise Lost. Alice Ader, piano. 2023. Notice en français. 72’ 10’’. Scala Musica SMU015.

A Genève, le défi d’Alexandre Kantorow dialoguant avec l’OCG

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A côté de sa série de concerts à l’abonnement, l’Orchestre de Chambre de Genève en propose treize autres hors catégorie qui sont présentés tant à Genève qu’à l’extérieur. Celui du 13 février est affiché dans un Victoria Hall bondé à l’extrême par un public qui s’est arraché jusqu’au dernier strapontin.  Car Alexandre Kantorow, prodigieux pianiste de vingt-sept ans qui avait marqué tous ceux qui l’avaient entendu interpréter le Deuxième Concerto en la majeur de Franz Liszt il y a deux ans, relève la gageure de jouer au cours de la même soirée les deux concerti pour piano et orchestre de Johannes Brahms sous la direction du chef hongrois Gábor Takács-Nagy.

Curieuse idée que celle de commencer par le Deuxième en si bémol majeur op.83 ! Trahi par l’acoustique si particulière de cette salle, l’Orchestre de Chambre de Genève peine à trouver ses marques dans les premiers tutti que le chef tente d’équilibrer, alors que le soliste cultive un son profond dans les arpèges initiaux avant de propulser les accords en cascades striés d’octaves à l’arraché. L’extrême précision de son jeu révèle une maîtrise technique hors du commun qui lui permet d’iriser le cantabile d’aigus clairs et de limpides passaggi  contrebalançant les pathétiques envolées qui  durcissent  la sonorité. Dans la même veine, le Scherzo (Allegro appassionato) affiche une farouche énergie que tempèrent les cordes rassérénées, tandis que l’Andante constitue le point focal par l’ineffable poésie empreinte par le piano à ses longues cantilènes, en dialogue avec le violoncelle solo soutenu par les cordes en demi-teintes. En un scherzando brillant, le Final dégage une vivifiante exubérance qui suscite l’enthousiasme d’un public subjugué par tant d’aisance ! 

La grande fiesta de L’Arpeggiata à la Salle Gaveau

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Un double concert anniversaire
À l’occasion de ses 25 ans, L’Arpeggiata a offert deux concerts consécutifs le 8 février, à la Salle Gaveau à Paris. Le premier, intitulé « Alla napolitana », et le second, « La grande fiesta de L’Arpeggiata », donnent un excellent aperçu des programmes typiques de l’ensemble, qui mêle partitions baroques et arrangements originaux de musiques traditionnelles de divers horizons.

Un mélange de styles et de talents
Parmi les interprètes, on retrouve des fines-fleurs du chant baroque comme la soprano Céline Scheen, le contre-ténor Valer Sabadus et le ténor Cyril Auvity. Les instruments anciens sont à l’honneur avec les cordes de boyau, l’orgue positif, ainsi le théorbe de Christina Pluhar. Mais l’ensemble intègre aussi des chanteurs à la technique moins classique et des instrumentistes issus de traditions musicales extra-européennes et modernes. Comme à l’accoutumée, ils transportent le public à travers les époques et les cultures, suscitant l’envie de chanter, de frapper des mains et de danser.

David Grimal initie l’Orchestre national de Lille à des interprétations sans chef

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Du 7 au 12 février, les mélomanes du Nord ont vécu une nouvelle expérience avec l’Orchestre national de Lille : une interprétation sans chef d’orchestre ! Au centre de ces concerts, David Grimal, qui pratique depuis longtemps ce format, notamment avec son orchestre Les Dissonances. Nous avons assisté au concert du 11 février au Nouveau siècle à Lille, dans un programme composé de trois œuvres de Mendelssohn. 

L’annonce habituelle juste avant le concert vient d’être diffusée. Les instruments s’accordent rapidement, et le public attend le chef, en l’occurrence David Grimal, indiqué « direction et violon » dans le programme. La salle n’est pas encore totalement silencieuse, et les musiciens commencent à jouer. Certains continuent à parler avec leurs voisins, ils n’ont pas compris tout de suite que le concert avait commencé ! L’Ouverture des Hébrides de Mendelssohn résonne comme venant de nulle part, renforçant le caractère mystérieux de la Grotte de Fingal. Il suffit de regarder quelques secondes l’orchestre, pour « voir » que les musiciens s’écoutent attentivement les uns et les autres. En effet, ce mode d’interprétation — un langage qui se développe, précisera David Grimal au bord de scène à l’issue du concert — est aussi beau à voir qu’à écouter. Ainsi, la musique respire de manière plus organique, elle devient plus que jamais une entité vivante.

Unsuk Chin, compositrice

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La compositrice sud-coréenne Unsuk Chin, dont la musique a été éditée dans le cadre d’un beau coffret des Berliner Philharmoniker,  est lauréate dans la catégorie Musique contemporaine des International Classical Music Awards 2025. Dans cette interview, elle parle de son art et de ses sources d'inspiration. L'interview a été réalisée par Maggie S. Lorelli pour la revue Musica, le membre italien du jury des ICMA.

Votre écriture se fait sur papier, renonçant à la possibilité offerte par l'ordinateur d'éditer vos partitions, qui sont à la fois épurées et créatives, des œuvres d'art en soi. Votre écriture est-elle toujours linéaire, sans arrière-pensée ?

Je compose toujours à mon bureau, sans ordinateur ni clavier. Je ne joue jamais les notes que j'écris sur la portée. J'ai été élevé de cette façon : c'est mon habitude et c'est la seule façon dont je peux composer. Créer une pièce est un travail où je dois prendre de nombreuses décisions à différents niveaux, y compris le contexte dans son ensemble, en me concentrant moins sur le son de chaque note individuelle. Ce processus prend beaucoup de temps, aussi parce que je fais d'abord des croquis. Et, bien sûr, il est toujours possible que j'aie des rechutes ou des doutes, ou que je jette certains éléments et recommence.

Ainsi, même si votre rêve d'enfant était de devenir pianiste de concert, vous ne développez pas vos idées musicales au piano. En jouez-vous encore de temps en temps ?

Bien sûr, j'adore pratiquer différents répertoires, de Bach à Messiaen et au-delà. C'est une expérience formidable pour moi, et un contraste excellent et fructueux avec le difficile processus de composition. Mais pour moi, la composition est un processus qui se déroule entièrement dans mon esprit.

L'une des caractéristiques de votre écriture est de pousser les possibilités expressives des instruments à leurs limites. Lors des phases d'étude et de répétition de vos œuvres, quelle est l'importance de l'interaction directe avec les musiciens ? Ou bien vos partitions disent-elles déjà tout pour vous ?

Pendant le processus de composition, je travaille rarement avec des interprètes ; je leur fais confiance et ils me font confiance. J'ai beaucoup de respect pour les interprètes brillants : c'est merveilleux, et c'est aussi fascinant d'écouter les différentes interprétations qui peuvent naître d'une même partition. De plus, les interprètes, avec leur art de l'interprétation, parviennent à trouver quelque chose auquel je n'avais pas pensé en phase de composition.

L'interprétation de votre musique est une expérience globale, qui nécessite souvent une implication physique...

Je suis obsédé par la virtuosité et l'énergie performative qui se créent lorsqu'un musicien pousse ses possibilités techniques et expressives à leur paroxysme.