Pages symphoniques de Victoria Borisova-Ollas, chatoyants mystères

par

Victoria BORISOVA-OLLAS (1969) : Angelus ; The Kingdom of Silence ; Before the Mountains Were Born ; Creation of the Hymns, pour cordes ; Open Ground. Orchestre Philharmonique Royal de Stockholm, direction : Andrey Boreyko, Martyn Brabbins et Sakari Oramo. 2016-2019. Livret en anglais, en allemand et en français. 82.08. SACD BIS-2288.

Lorsqu’on ouvre la pochette de cet enregistrement BIS, on découvre une photographie de la compositrice assise sur les marches d’un grand escalier recouvert de velours rouge. Ce qui séduit sur ce beau cliché, c’est le visage aux traits fins et le regard ouvert, franc et souriant de cette créatrice chaleureuse, née en Russie en 1969, mais installée en Suède depuis 1993. Victoria Borisova-Ollas est revêtue d’un pull brun à col roulé, émergeant d’un immense drapé de couleur rouge sombre, qui la recouvre avec beaucoup d’élégance. Cette photographie est à l’image de sa musique : ancrée dans une diversité chatoyante, mais aussi portée par une mystérieuse et sincère ferveur.

Née à Vladivostok, ville portuaire du Sud-est de la Russie, à six mille kilomètres de Moscou, Victoria Borisova-Ollas part pour la capitale afin d’étudier à l’Ecole de musique centrale, puis au Conservatoire Tchaïkovsky auprès de Nikolaï Korndorf (1947-2001). Elle perfectionne son enseignement à Londres et à Malmö pour la composition. En 1998, sa partition Wings of the Wind est récompensée au British Masterprize International Competition ; elle va désormais être programmée dans divers pays. Elle se consacre beaucoup à l’orchestre (dont deux symphonies), mais aussi à l’opéra. En 2007, c’est The Ground Beneath Her Feet, d’après le roman La Terre sous ses pieds de Salman Rushdie, une évocation du mythe Orphée/Eurydice transposé à l’époque moderne ; dix ans plus tard, son Dracula remporte un tel succès qu’il est joué à guichets fermés pendant deux saisons. Ici, on découvre cinq partitions orchestrales composées entre 2003 et 2013. Elles témoignent d’une écriture raffinée, avide de timbres insolites, dans un langage personnel qui fait la part belle aux recherches acoustiques. Victoria Borisova-Ollas signe le livret, introduisant elle-même l’auditeur dans son univers au sein duquel nous la suivons avec curiosité.

Le programme s’ouvre par Angelus, un hommage à la ville de Munich qui date de 2008 : « Une ville où les oiseaux ne chantent pas et où les cloches ne sonnent pas est une ville morte », écrit la compositrice. Cette commande pour le 850e anniversaire de la capitale de la Bavière a été l’occasion d’un séjour en septembre 2006. Au cours de ses pérégrinations dans la cité, Borisova-Ollas a été fascinée par les cloches de plusieurs églises (Peterskirche, Rathaus, Frauenkirche, Marienplatz…) et par les monuments, fixant soigneusement divers sons sur un lecteur MiniDisc. Elle s’en inspire pour cette partition aux accents soyeux et évocateurs, avec de grands espaces postromantiques qui associent des échos de cloches aux bois qui symbolisent les chants des oiseaux. Attachante et pittoresque peinture musicale pour laquelle la compositrice n’hésite pas dans son commentaire à affirmer que si « nous perdons si souvent confiance en Dieu, lui ne perd jamais sa confiance en nous ». Ce qui anime Borisova-Ollas, c’est cette transposition de la vie réelle, mais aussi la fascination qui s’en dégage. On peut s’en convaincre en écoutant la partition suivante, The Kingdom of Silence de 2003, dédiée à son professeur Nikolaï Korndorf. Il s’agit encore d’une commande, qui émane d’organismes suédois et qui évoque « le pays où nous irons tous après notre vie ». L’ambiance est ésotérique, avec des cordes flottantes que ponctue l’intervention d’un glockenspiel et d’un célesta, accentuant la sensation de rêve éveillé sous la forme d’une berceuse envoûtante, à moins que ce ne soit la représentation que se fait la compositrice d’un espace intemporel au-delà de nous-mêmes. 

Cette page hors du temps trouve un prolongement dans Before the Mountains Were Born de 2005, avec insertion de l’esprit du Psaume 90, une prière de Moïse saluant la puissance de Dieu. Olga Borisova-Ollas explique son attirance pour ces textes bibliques auxquels elle fait place dans plusieurs œuvres, notamment le 94e dans The Kingdom of Silence. Ici, elle a conçu son projet orchestral avec une mise en évidence des bois solistes qui, à tour de rôle, « quittent leur siège et se rendent à des lutrins séparés » pour se faire entendre, avant d’aller se fondre à nouveau parmi leurs collègues. L’évocation est puissante et romantique, dans un contexte quelque peu exalté qui révèle une tendance aux composantes mystico-spirituelles. Cette fois, c’est la Radio de Stuttgart qui a été la commanditaire, pour mettre en valeur son remarquable groupe instrumental (flûte, hautbois, clarinette et basson). 

Le programme, généreux, propose encore deux pages de commande. Creation of the Hymns est l’instrumentation de 2013 d’une version raccourcie d’un quatuor à cordes. Elle est destinée à quinze cordes ; on y retrouve des aspects tonaux et atonaux dans un mélange subtil de sonorités fluides et méditatives. L’Open Ground pour orchestre de 2006 qui clôture le programme s’inspire du roman de Salman Rushdie qui fera l’objet d’un opéra un an plus tard. C’est la réaction émotionnelle de Borisova-Ollas à la lecture du premier chapitre qui décrit un séisme à Mexico. La question qui consiste à se demander si la terre et la réalité sont encore le reflet d’une véritable stabilité est transposée dans un espace agité où l’accélération des thèmes qui préfigurent la catastrophe sismique crée l’angoisse, pour déboucher sur l’hébétude face au dérèglement qui s’ensuit. Les instruments semblent hésiter face au danger imminent, le deviner, avec des hésitations récurrentes et des affolements face à la menace, avant de devoir faire face au désastre dévastateur. Comme dans ses autres partitions, la compositrice montre à quel point elle sait manier les nuances variées, les couleurs, les élans animés et l’expressivité. 

L’univers symphonique de Victoria Borisova-Ollas est une attachante découverte qui permet de faire la connaissance d’un monde orchestral enrichi par une réflexion intérieure. Derrière ces partitions chatoyantes et immédiatement séductrices, qui font parfois penser aux musiques de film les plus nobles, il y a un message d’espoir, celui d’un avenir meilleur. Trois chefs sont ici à la tête du magnifique Philharmonique Royal de Stockholm : Andrey Boreyko (Angelus et Creation of the Hymn), Martyn Brabbins (The Kingdom of Silence et Before the Mountains Were Born) et Sakari Oramo (Open Ground) rendent justice à ces pages qui valent que l’on s’y attarde car elles s’inscrivent avec talent dans la création de notre temps. Andrey Boreyko est un interprète régulier de Victoria Borisova-Ollas dont il joue les partitions dans de nombreux pays. C’est à lui que la compositrice a dédié Before the Moutains Were Born

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix

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