Parfaite adéquation drame et musique : Wagner eût été heureux !

par
Lohengrin

Un instant avant le début du prélude de Lohengrin, Olivier Py s'est avancé et a introduit sa mise en scène en quelques mots : ou comment d'étroites relations unissent l'opéra romantique et le national-socialisme.  C'est ce qu'il a voulu démontrer, et il y réussit fort bien.

Transposée dans une Allemagne "année zéro", sa lecture multiplie les allusions à cette période noire. Exemples : écriture de poèmes sur un mur, ou figurants avec valises s'en allant vers leur destin. Saisissant était le décor du début de troisième acte, fait de neuf niches symbolisant le passé culturel du pays : Goethe, Grimm, Novalis, Hegel, Schiller, Hölderlin étaient ainsi appelés à la barre, mais aussi Beethoven, Weber ou Casper Friedrich. Mise en scène assez sombre donc, au message direct, comme Py le confirma dans ses propos d'entracte. Il est peut-être un dramaturge-penseur intelligent, mais il se révèle aussi un remarquable metteur en scène. Les spectateurs de La Monnaie s'en étaient déjà rendu compte avec ses Huguenots, son Hamlet ou ses récents Dialogues des Carmélites. Par une direction d'acteurs rigoureuse, et aidé par des solistes engagés, il parvient à tenir l'auditoire en haleine durant les 4h 30 de spectacle. Même si quelques scènes nous ont paru étranges (le duel Lohengrin - Telramund remplacé par une partie d'échecs, les montées et descentes d'un fronton de temple grec, les seaux passés de mains en mains de figurantes), la vision tenait la route, et le visuel était spectaculaire : un gigantesque plateau tournant représentait un théâtre un peu déglingué, avec ses niches dans lesquelles se tenaient les choristes. Tout cela avait grande allure. Si la représentation a eu aussi tant d'impact, c'est grâce à la cohérence de l'invention dramatique, sans doute, mais aussi grâce à l'adéquation idéale entre la fosse et le plateau. En Alain Altinoglu, Olivier Py a trouvé le partenaire idéal. A la tête d'un orchestre de La Monnaie galvanisé, puissant et en même temps raffiné (les vents au prélude de l'acte II), il a dirigé cette partition énorme tel un démiurge, créant des moments musicaux intenses, en particulier dans les scènes finales des deux premiers actes, de ces moments qui font comprendre l'amour passionné des mélomanes pour le genre "opéra". Il faut le souligner, les choeurs au sommet de leur forme, l'ont beaucoup aidé. Un très grand bravo à Martino Faggiani pour son travail formidable, sans aucun doute l'une des clés de la réussite de ce spectacle. Quant aux solistes vocaux, le choix ne pouvait être meilleur : tous ont saisi leur personnage à la perfection. Le Lohengrin jeune et enthousiaste (un récit du Graal lumineux !) d'Eric Cutler nous rappelait son étonnant Raoul de Nangis des Huguenots (2011). L'adéquation avec l'Elsa plus mûre d'Ingela Brimberg, tour à tour poétique (Einsam in trüben tagen) et puissante dans son affrontement avec Ortrud au deuxième acte. Une belle réalisation. Elena Pankratova incarnait la maléfique princesse avec une autorité superbe et une vocalité wagnérienne affirmée (elle a chanté Kundry à Bayreuth). Le Telramund d'Andrew Foster-Williams, malgré son impeccable phrasé, s'en voyait parfois un peu écrasé, alors qu'il est un habitué des rôles de "méchants". Henri l'Oiseleur (Gabor Bretz) semblait distant et peu concerné, mais n'est-ce pas le rôle qui le veut ? Enfin, magnifique Héraut de notre compatriote Werner van Mechelen, également excellent acteur : il tire un peu les ficelles de l'intrigue dans la mise en scène de Py. Ce fut une soirée d'exception, due à la rencontre d'un chef d'orchestre passionné, d'un metteur en scène très attentif, de choeurs magnifiés et de solistes totalement investis. Un des grands succès de cette saison à La Monnaie, sans aucun doute.
Bruno Peeters
Bruxelles, Théâtre Royal de La Monnaie, le 19 avril 2018

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