Paul Hermann, une redécouverte majeure
Paul Hermann (1902–1944). Grand Duo pour violon et et violoncelle; Trio à cordes; Trio à clavier; Concerto pour violoncelle ; Mélodies; Oeuvres pour piano (Quatre Epigrammes; Allegro; Toccata; Suite). Burkhard Maiss (violon), Hannah Strijbos (alto), Bogdan Jianu (violoncelle), Andrei Banciu (piano), Clive Greensmith* (violoncelle) et Beth Nam (piano); Irene Maessen (mezzo). 2017 - DDD-52’57 et 36’55- Textes de présentation en anglais et allemand- Etcetera KTC 1590
Alors que le disque nous a permis de mieux connaître depuis quelques temps déjà les oeuvres de compositeurs juifs tchèques de grand talent -tels que Pavel Haas, Gideon Klein, Viktor Ullmann ou Hans Krása- que la folie nazie amena à Theresienstadt puis dans les camps de la mort, rien ou presque n’était su de Paul Hermann (au point que vous chercherez en vain son nom dans le Grove ou MGG en ligne). Né à Budapest en 1902 dans une famille juive aisée, Pál (Paul) Hermann étudia le violoncelle et la composition à l’Académie Franz Liszt de sa ville natale où il compta Kodály et Bartók parmi ses professeurs, et commença dès les années 1920 une brillante carrière de violoncelliste, se produisant souvent avec le violoniste Zoltán Székely , duo auquel s’ajoutait parfois le brillant pianiste Lajos (Louis) Kentner, futur beau-frère de Yehudi Menuhin. Une rencontre avec un couple de mécènes néerlandais, les De Graaff-Bachiene, l’amena aux Pays-Bas où il épousa Ada Weevers, une de leurs nièces, en 1931, après quoi le couple revint à Berlin où Hermann s’était établi. La montée du nazisme amena la famille à quitter Berlin pour les Pays-Bas en 1933, année où Ada mourut, âgée de 25 ans à peine, d’une pneumonie. En quête d’opportunités professionnelles, Hermann décide alors de s’établir à Bruxelles où il rejoint en 1934 le Quatuor Gertler, fondé par son compatriote André Gertler. En 1937, il quitte Bruxelles pour Paris. En mai 1940, juste après l’invasion allemande, Hermann s’engage dans la Légion étrangère mais son régiment sera assez rapidement démobilisé. Il passe alors en zone libre où il réside dans la maison que les De Graaff-Bachiene possédaient à Mont-de-Marsan. Mais la solitude lui pèse. Désireux de rejoindre un environnement où il lui serait possible de donner des leçons de musique voire un concert de temps en temps, il décide de partir pour Toulouse, où, muni de faux papiers, il se croit en sécurité. Arrêté dans la rue lors d’une rafle en avril 1944, il est transféré à Drancy d’où il sera déporté le 15 mai par le convoi 73 à destination de Kaunas en Lituanie. Plus rien n’est su de son sort ensuite.
Les exigences de la brillante carrière de violoncelliste de Hermann expliquent très probablement le peu d’oeuvres -souvent inachevées- qu’il nous a laissées, le temps lui ayant très certainement manqué pour les mener à bien. D’ailleurs, seules ses Epigrammes pour piano furent éditées de son vivant. Si ses pièces pour piano sont intéressantes, avec des Epigrammes dont (surtout la Première) l’impertinence et les rythmes chaloupés font beaucoup penser à Poulenc, l’Allegro penche plutôt vers Bartók tout comme le fait la Suite, alors que la Toccata lorgne davantage vers le Debussy tardif des Etudes.
Mais on trouvera le meilleur de la si courte production du compositeur dans ses oeuvres pour cordes, à commencer par le Grand Duo en trois mouvements (1929-30) qu’il écrivit pour Székely et lui-même en vue d’une exécution au Wigmore Hall de Londres, où le duo s’était produit une première fois avec succès en mars 1929. Il y a là un néo-classicisme sans sécheresse dont l’esprit fait penser à Roussel, alors que le Finale nous entraîne dans une tourbillonnante danse hongroise dont ses maîtres et amis Kodály et Bartók n’auraient pas eu à rougir. Le Trio à cordes (1921) n’alla pas au-delà d’un premier mouvement dont l’atmosphère montre une affinité certaine avec les deux premiers quatuors de Bartók. De même, le Trio à clavier (1924) n’alla pas non plus au-delà de son Andante tranquillo initial. L’oeuvre, construite avec une implacable intensité, impressionne par sa réelle profondeur et, si l’influence de Kodály et Bartók est bien sûr indéniable, on y décèle aussi par moments -comme dans la fugue qui ouvre cet unique mouvement-un sentiment d’inquiétude qui rappelle beaucoup Berg.
Hermann n’acheva que le premier mouvement d’un Concerto pour violoncelle (1923), dont on peut penser qu’il le destinait à son propre usage. Sa belle franchise, son sentiment ouvertement romantique et rhapsodique témoignent sans nul doute de l’influence de son maître Kodály, alors que sa veine mélodique si spontanée fait beaucoup penser à Martinu.
Les deux mélodies écrites à Bruxelles en 1934, La Ceinture et La Dormeuse (sur des poèmes de Paul Valéry) sont de franches réussites, où Hermann fait preuve d’un lyrisme fluide et aisé et d’un style très français. Moins séduisante, Ophélie (écrite en 1939 sur un long poème de Rimbaud) est davantage une scène dramatique (la pièce dure près de 8 minutes) qu’une mélodie proprement dite.
Remercions Etcetera d’avoir sorti ce compositeur de grand talent de l’oubli, et espérons que les excellents interprètes de cet enregistrement en inciteront d’autres à (re)découvrir l’injustement méconnu Paul Hermann.
Patrice Lieberman
Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10