Petrenko, miroirs soviétiques

par

Serge Prokofiev (1891-1953) : Symphonie n°6 en mi bémol majeur, Op.111 ; Nikolai Miaskovsky (1881-1950) : Symphonie n°27 en Ut mineur, Op.85. Oslo Philharmonic Orchestra, Vasily Petrenko. 2019. Livret en norvégien et en anglais. LMC 1215. 

Vassily Petrenko et son orchestre norvégien poursuivent leur exploration des symphonies de Prokofiev mises en regard avec des symphonies de Miaskovsky. Idée pertinente tant les deux hommes étaient presque exacts contemporains et ils étaient liés par une amitié profonde. Ces deux oeuvres sont également presque contemporaines et présentent une même forme en trois mouvements sans oublier qu’elles apparurent dans le contexte soviétique de l’après-Seconde Guerre mondiale marqué par le resserrement du joug stalinien, en particulier sur les arts.  

Déboulant après la pétaradante et démonstrative Symphonie n°5, la symphonie n°6 témoigne d’une victoire amère de l’URSS, tout est sombre dans cette symphonie qui semble hurler les douleurs d’une nation martyr, victorieuse mais saignée par la Seconde Guerre mondiale. La maîtrise de l’orchestration permet à Prokofiev de tirer des teintes noires et angoissantes des pupitres orchestraux. Le final, faussement triomphaliste, poursuit avec une ironie acide cette déconstruction sensitive, jusqu’au climax final tout en chute. Vassily Petrenko livre une interprétation soignée et précise qui cerne tous les aspects de cette partition étonnante mais foncièrement profonde qui mérite d’entrer plus régulièrement au programme des concerts.  

Composée en 1950, la Symphonie n°27 de Miaskovsky est son ultime symphonie. Telle un regard vers le passé, elle interroge et questionne un art si riche dans l’héritage de la tradition, mais si singulier. A l’inverse de la musique spontanément éclatante de Prokofiev, celle de Myaskovsky se mérite. A l’image des symphonies de Magnard ou de Scriabine, il faut entrer dans ces fresques musicales. Bien que composée à la fin des années quarante et créée à titre posthume par le grand Alexander Gauk, l’oeuvre regarde indubitablement vers un passé avec des réminiscences de Tchaïkovsky pour l’élan des mouvements rapides ou de Dvořák pour la facilité mélodique mais il faut un solide bras de chef pour habiter ces oeuvres et dompter une instrumentation surpuissante.  Le mouvement lent central présente une orchestration poétique qui tire des teintes sombres des pupitres. C’est incontestablement une œuvre particulière mais à la forte personnalité. L’interprétation de Vassily Petrenko est des plus satisfaisantes par l’élan et l’envergure qu’il donne à cette symphonie. Bien évidemment, l’interprétation légendaire de Svetlanov (Melodiya) reste un must absolu.  

Son : 9 – Livret : 9  – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Pierre-Jean Tribot

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