Pierre Monteux à Paris, Vienne, Londres et Amsterdam : pour le compositeur, rien que le compositeur

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Pierre Monteux - Intégrale des enregistrements Decca. Œuvres de Johann Sebastian Bach (1685-1750), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Hector Berlioz (1803-1869), Johannes Brahms (1833-1897), Claude Debussy (1862-1918), Antonín Dvořák (1841-1904), Sir Edward Elgar (1857-1934), Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Joseph Haydn (1732-1809), Felix Mendelssohn (1809-1847), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Maurice Ravel (1875-1937), Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908), Claude Joseph Rouget de Lisle (1760-1836), Franz Schubert (1797-1828), Jean Sibelius (1865-1957), Igor Stravinsky (1882-1971), Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893). Séances de répétitions (Beethoven, Ravel). Claude Monteux, flûte ; Roger Lord, cor anglais ; Hugh Maguire, violon ; Julius Katchen, piano. Elisabeth Söderström, soprano ; Regina Resnik, alto ; André Turp, Jon Vickers, ténor ; David Ward, basse. London Bach Choir ; London Symphony Chorus ; Chorus of the Royal Opera House, Covent Garden. London Symphony Orchestra, Wiener Philharmoniker, Concertgebouworkest Amsterdam, Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, direction : Pierre Monteux. Royal Philharmonic Orchestra, direction : Claude Monteux. Enregistré entre octobre 1956 et janvier 1971 à la Salle Wagram, Paris ; à la Sofiensaal, Vienne ; aux Kingsway Hall, Walthamstow Assembly Hall et West Hampstead Studio 3, Londres ; à la Grote Zaal du Concertgebouw, Amsterdam. 25 h 53’ - Livret en anglais, français allemand - 1 coffret 24 CD Decca 4834711.

L’intitulé du coffret - Complete Decca Recordings - est un peu restrictif, car il s’agit en fait de l’ensemble des gravures RCA-Victor, Decca, Philips et Westminster du chef, en précisant, pour RCA-Victor, que sont ici reprises uniquement celles issues de la collaboration des ingénieurs du son de Decca pour les enregistrements réalisés à Paris, Vienne et Londres. Par conséquent, bien évidemment, on n’y trouvera pas les gravures américaines de Pierre Monteux, notamment celles en stéréo de Boston ; et comme l’exception confirme la règle, curieusement, n’y est pas présente la légendaire version du Concerto pour violon de Brahms, pourtant avec le LSO sous la baguette de Monteux, et Henryk Szeryng en soliste, enregistré à Londres par l’impeccable ingénieur du son londonien Kenneth Wilkinson au Walthamstow Assembly Hall… Ce sont les joies des contrats ! Plus aberrant encore, cette « intégrale » omet l’ouverture Léonore III op. 72a de Beethoven, pourtant présente dans une édition japonaise… Quoi qu’il en soit, il est réjouissant de retrouver ce corpus européen de l’immense chef d’orchestre français naturalisé américain en 1942, dans les meilleures conditions sonores possibles n’ayant rien à envier aux productions actuelles.

La carrière de Pierre Monteux (1875-1964) fut exceptionnelle, tant dans sa longévité que dans sa qualité. Il n’attendit pas pour se produire en public la fin de ses études de violon, de musique de chambre, d’écritures au Conservatoire de Paris, couronnées en 1896 d’un Premier Prix de violon : dès 14 ans, de 1889 à 1892, il est deuxième violon aux Folies-Bergère ; en 1892 il est altiste du Quatuor Geloso, et à 18 ans, en 1893, il devient premier altiste à l’Orchestre Édouard Colonne, jusqu’en 1912 ; dès 1906, assistant d’Édouard Colonne puis de Gabriel Pierné, il participe aux concerts où Debussy dirige La Mer (1908) ainsi qu’à la création d’Iberia en 1910.

Mais ce qui lui apporte la reconnaissance internationale en 1911, c’est bien le choix de Monteux par Diaghilev pour diriger la deuxième saison des Ballets Russes avec la création de deux ballets, Sadko de Rimsky-Korsakov et Petrouchka de Stravinsky. Ensuite il crée notamment Daphnis et Chloé en 1912, Jeux de Debussy et Le Sacre du Printemps en 1913, Le Coq d’Or de Rimsky-Korsakov et Le Rossignol de Stravinsky en 1914. Cette même année le voit donner en 1ère audition en concert, aux Concerts Populaires du Casino de Paris, les Valses nobles et sentimentales de Ravel et Le Sacre du Printemps. Enfin il crée en 1929 à Paris la Symphonie n° 3 de Prokofiev avec l’Orchestre Symphonique de Paris.

Il est évident que Pierre Monteux possédait un vaste répertoire d’œuvres de toutes provenances, où il excellait, mais il était profondément attristé que certains pays ou éditeurs le cantonnent essentiellement à la seule musique française : par sa formation de jeunesse, sa prédilection allait à la musique germanique, Beethoven et surtout Brahms étant ses compositeurs de cœur. Si la RCA-Victor l’a surtout bien documenté dans tous ses choix avec les anciennes gravures à San Francisco, ce coffret Decca, de qualité sonore bien supérieure, met plus en évidence la musique autre que française, avec 17 CDs contre seulement 6 CDs (Berlioz, Debussy, Ravel), et parmi les 17, 11 sont consacrés à la musique germanique, le reste à des pages russes (Rimski-Korsakov, Tchaïkovski, Stravinsky), anglaise (Elgar), finlandaise (Sibelius) et tchèque (Dvořák).

Si son cycle des Symphonies de Beethoven est confronté à de redoutables concurrents, on ne peut que s’émerveiller devant tant de clarté, de précision et de sensibilité, et surtout de respect du texte, attitude moderne le distinguant nettement d’autres chefs de sa génération : écartant notamment les « révisions » de la Symphonie n° 9 par Wagner, Mahler et Weingartner souvent utilisées, Monteux s’oppose à la doublure dans le Scherzo par Felix Weingartner des bois par les cors au second thème, déclarant « Ce n’est pas Beethoven. C’est Weingartner, et je n’aime pas du tout cela. » La Symphonie n° 6 « Pastorale » de Vienne-Monteux est l’une des plus belles, des plus lumineuses qui soient : il faut notamment entendre le début du développement du 1er mouvement au casque avec les 1ers et 2ds violons disposés en antiphonie… Fabuleux ! Ces qualités de clarté et de chaleur se retrouve dans les œuvres de Brahms, notamment dans ses deux versions de la Symphonie n° 2, idéales, où Monteux insistait auprès de ses élèves en direction d’orchestre de respecter la reprise du 1er mouvement, ce qu’il fait ici.

On ne reviendra pas sur ses interprétations de Debussy, Ravel, Stravinsky, historiquement de référence absolue… Mais tout est référence : Shéhérazade de Rimski-Korsakov, Symphonies de Dvořák et Sibelius, et même ses Berlioz où il concurrence dangereusement Charles Munch !… À l’image de sa personnalité, les enregistrements de Pierre Monteux ne sont certainement pas spectaculaires, ils sont tout simplement justes !

Michel Tibbaut

Son : 9 - Livret : 8 - Répertoire : 10 - Interprétation : 9 

 

 

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