L’héritage Charles Munch chez Universal Australie

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The Legacy of Charles Munch. Œuvres de Henry Barraud (1900-1997), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Hector Berlioz (1803-1869), Georges Bizet (1838-1875), Johannes Brahms (1833-1897), Claude Debussy (1862-1918), Gabriel Fauré (1845-1924), César Franck (1822-1890), Vincent d’Indy (1851-1931), Joseph Haydn (1732-1809), Felix Mendelssohn (1809-1847), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Jacques Offenbach (1819-1880), Sergueï Prokofiev (1891-1953), Maurice Ravel (1875-1937), Ottorino Respighi (1879-1936), Albert Roussel (1869-1937), Camille Saint-Saëns (1835-1891), Robert Schumann (1810-1856), Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893), Charles-Marie Widor (1844-1937). Peter Schreier, ténor. Myrtil Morel, hautbois ; Fernand Oubradous, basson. Roland Charmy, Ossy Renardy, violon ; André Navarra, violoncelle. Jacqueline Blancard, Marcelle Herrenschmidt, Eileen Joyce, Nicole Henriot-Schweitzer, piano. Chor des Bayerischen Rundfunks (chef de chœur : Wolfgang Schubert). Grand Orchestre Symphonique, Orchestre de la Société Philharmonique de Paris, Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire de Paris, Orchestre National de la Rtf, Concertgebouworkest d’Amsterdam, London Philharmonic Orchestra, New Philharmonia Orchestra, Orchestre de la Radio-Télévision Hongroise, Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, direction : Charles Munch. Enregistré entre janvier 1938 et juillet 1967 à Paris, Londres, Amsterdam, Budapest, Munich. Édition 2020. Livret en anglais. 1 coffret 14 CD Decca « Eloquence » 4840219.

La musique est l’art d’exprimer l’inexprimable. Elle va très au delà de ce que les mots peuvent signifier et les intelligences préciser. Son domaine reste celui des impondérables, de l’impalpable et du rêve. Le fait que les hommes aient le droit de parler ce langage me paraît le plus précieux des dons que le ciel nous ait accordés. Et nous n’avons pas le droit de le galvauder … On ne s’étonnera donc pas que je voie dans mon état de chef d’orchestre, non pas un métier, mais un sacerdoce : le mot n’est pas trop fort. Telle est, selon les propos confiés à son livre Je suis chef d’orchestre (Éditions du Conquistador - 1954), la profession de foi de Charles Munch, chef d’orchestre prestigieux, animateur puissant, interprète souvent très personnel mais dont la personnalité, toujours fascinante, galvanisait toute phalange sous sa direction incisive et chaleureusement humaine.

Neveu d’Albert Schweitzer qui fut Prix Nobel de la Paix en 1952, Charles Munch, né à Strasbourg le 26 septembre 1891 et décédé à Richmond le 6 novembre 1968, fut l’un des chefs d’orchestre français les plus glorieux qui firent carrière aux U.S.A. aux côtés de Jean Martinon, Pierre Monteux, Paul Paray. Brillant élève des violonistes Lucien Capet à Paris et Carl Flesch à Berlin, Munch entreprend une carrière pouvant se résumer en quatre périodes : violon solo de l’Orchestre Municipal de Strasbourg sous Paul Bastide (1879-1962) de 1919 à 1926, violoniste concertmeister de l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig de 1926 à 1932 ; puis à Paris comme chef de l’Orchestre Philharmonique de 1935 à 1938, à la tête de l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire de 1938 jusqu’à la fin de la guerre ; ensuite en tant que chef de l’Orchestre Symphonique de Boston de 1949 à 1962 ; enfin de retour à Paris où à la demande d’André Malraux et Marcel Landowski, il forme en 1967, avec l’aide de Serge Baudo, l’Orchestre de Paris à partir de la Société des Concerts du Conservatoire dissoute.

Maintenant que nous disposons de l’ensemble des enregistrements EMI chez Warner, RCA chez Sony, Concert Hall chez Scribendum, ainsi que l’édition sous rubrique, une opinion bien précise peut être forgée au sujet de la discographie générale du chef strasbourgeois ; évidemment, lorsque Charles Munch réalisa ces gravures chez les divers labels discographiques du groupe Universal (Polydor, L’Oiseau-Lyre, Decca, Véga-Accord, Philips, Deutsche Grammophon), il ne se doutait pas qu’après sa disparition, elles feraient toutes partie de ce même groupe au plus grand bonheur des mélomanes, puisqu’elles se trouvent opportunément réunies en cet élégant coffret.

Les neuf premiers CDs sont dévolus aux gravures 78 tours, essentiellement Decca, enregistrées entre janvier 1938 et juin 1949. Elles reflètent d’emblée les affinités habituelles et bien connues de Munch : Berlioz, Bizet, Debussy, Franck, Ravel, Roussel, et Beethoven, Brahms, Mendelssohn, Schumann, Tchaïkovski. Les reports de Mark Obert-Thorn, comme de coutume, sont absolument impeccables. Si le visuel de l’album indique bien en vignette Complete Decca recordings, il manque toutefois trois inédits londoniens jamais publiés, donc peut-être perdus ou détruits : le Concerto pour piano op. 54 de Schumann (avec Nicole Henriot-Schweitzer), la Joyeuse Marche de Chabrier, issus des sessions d’octobre 1946, puis l’Ouverture des Noces de Figaro de Mozart gravée lors des sessions de septembre-octobre 1947.

Tout Munch se trouve d’emblée dans ces incunables sonores : magnifique première gravure mondiale en janvier 1938 du Concerto pour la main gauche de Ravel par Jacqueline Blancard à la technique très sûre, et un chef faisant ressortir le sombre éclat de l’œuvre angoissée de Ravel ; du même niveau qualitatif se révèle le Concerto en sol avec Nicole Henriot-Schweitzer dont il s’agit ici du premier enregistrement des trois en studio. Munch a enregistré trop rarement Fauré et c’est fort dommage : sa Suite Pelléas et Melisande et sa seule gravure de la Pavane pour orchestre sont entourées de tous les soins et subtilités nécessaires. Les enregistrements les plus réussis sur le plan artistique sont peut-être ceux consacrés à Berlioz et Roussel : pour le premier émanent direction autoritaire, rythmes explosifs, accents marqués ; pour le second une sorte de sombre éclat supplémentaire, mais le tout avec attention constante au moindre détail. On notera également une lumineuse Symphonie en ut de Bizet, une fervente Symphonie « Réformation » de Mendelssohn et une irrépressible Symphonie n° 4 de Schumann, où semble planer le souvenir de Furtwängler dont Munch fut le violon solo à Leipzig.

Les cinq derniers CDs concernent les enregistrements de décembre 1961 à juillet 1967, et contiennent une rareté absolue bienvenue : la Symphonie n° 3 (1957) au langage et à l’expression très denses d’Henry Barraud (1900-1997) - ami de Munch - dont à notre connaissance il s’agit du seul enregistrement, originellement sur label français Véga … et puis par ailleurs, aux côtés des Suites de Carmen et de L’Arlésienne, des Pins et des Fontaines de Rome de référence (on sent son admiration pour Toscanini), comme le chef d’orchestre alsacien savait s’amuser de façon débridée avec cette succulente et irrésistible Gaîté Parisienne d’Offenbach-Rosenthal ! Mais il se montrait évidemment plus réservé et recueilli dans cette admirable interprétation de la Grande Messe des Morts (ou Requiem) de Berlioz, accomplie en juillet 1967, grâce au talentueux ténor Peter Schreier et à la proposition de son excellent ami Rafael Kubelík qui lui confia bien volontiers ses Chœur et Orchestre de la Radiodiffusion Bavaroise : Munch n’était pas satisfait de la portée sonore quelque peu restreinte de son enregistrement précédent d’avril 1959 à Boston, et il désirait revisiter l’œuvre. Lorsque le coffret de 2 LP est apparu à l’automne 1968, personne n’aurait pu imaginer que ce serait le dernier enregistrement de Munch et son propre requiem…

Son : 8 - Livret : 9 - Répertoire : 10 - Interprétation : 9

Michel Tibbaut

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