Une « Neuvième » pleine de bonnes vitamines

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C’est une platitude que de dire que la Neuvième Symphonie de Beethoven appartient au patrimoine mondial de l’Humanité. Elle est, en quelque sorte, avec son message de joie et d’amour universels, avec pour la première fois l’utilisation de la voix humaine, l’aboutissement suprême de ce que peut être une symphonie dont l’étymologie (syn : avec et phônê : voix ou son) contient l’idée d’harmonie, d’unité, de fusion. Un concert avec « La Neuvième » (et cette expression suffira : pas besoin de préciser qu’il s’agit de Beethoven, ni même d’une symphonie) est, que l’on soit sur scène ou dans le public, un événement.

A l’Auditorium de Radio-France, c’est Emmanuel Krivine qui nous la proposait avec l’Orchestre National de France. C’est déjà leur troisième saison ensemble, et il faut en espérer encore bien d’autres !

Dès les premières notes de l’Allegro, avec ce début qui, dans certaines autres interprétations, peut donner l’impression d’un monde qui sort du néant, on sent que nous sommes dans une dimension beaucoup plus concrète. C’est nerveux (et, étonnamment, les cordes davantage que les vents -et les bois en particulier), presque sec (à cet égard, le choix des baguettes des timbales est assez radical). Il est possible que l’acoustique de cette magnifique salle toute de bois, qui n’est pas réputée favoriser les grandes formations orchestrales, ajoute à cette impression, assez paradoxale étant donnée la vigueur déployée, d’un certain statisme. Est-ce que l’instant présent est trop privilégié par rapport à la grande ligne -il est vrai ici d’une redoutable difficulté à faire sentir ? Il n’en demeure pas moins qu’il y a, tout au long de ce mouvement, une belle énergie.

À l’attaque du Vivace, on retrouve un état d’esprit finalement assez semblable. Il arrive qu’au sortir d’un premier mouvement qui aurait fait le choix du poids et de la gravité, où l’on ait eu l’impression d’assister à la création du monde, le Vivace soit comme la manifestation de l’éclosion d’une vitalité idéale sur Terre. Rien de tel avec Emmanuel Krivine, qui ne manque pas de vitalité depuis le début ! Avec le caractère possiblement dansant de ce mouvement, il est tout à son affaire. Et les bois (ainsi que le cor) sont parfaits de précision et de musicalité.

L’Adagio n’est pas la longue quête métaphysique que l’on entend parfois. Pour Emmanuel Krivine, ce n’est visiblement pas dans ce mouvement que Beethoven s’est essayé à la mise en musique du Faust qu’il projetait à l’époque de la composition de cette symphonie. Les cordes sont splendides, lyriques à souhait, mais toujours sobres. Quelques changements de rythme manquent un peu de fluidité et, malgré un tempo assez allant, l’ensemble du mouvement semble par moments s’étirer. Nous nous disons alors, tant que le chœur n’intervient pas, que nous avons, avec cette Neuvième Symphonie, une sorte de version longue de la Huitième.

L’entrée du Finale sonne étrangement. Est-ce une mise en valeur volontaire de l’orchestration ? Les trompettes, très percutantes tout au long du mouvement, cassent la ligne des bois. Mais les interventions des cordes graves sont superbes. Arrive alors cette trouvaille tellement géniale de Beethoven, avec l’énumération des motifs des mouvements précédents puis le thème qui est probablement le plus célèbre de toute l’histoire de la musique, et enfin l’intervention du baryton solo (ici assez dramatique, plus proche de l’opéra qu’instrumentale) : « Ô amis, pas de ces accents ! / Laissez-nous en entonner de plus agréables, / Et de plus joyeux ! », premiers mots du texte de Schiller qui, sur certaines pochettes de disques, donne son titre à la symphonie : l’Hymne à la Joie, et qui va prendre possession de toute la suite. Le Chœur de Radio-France, préparé par Joël Suhubiette, répond au chef avec discipline mais peut-être, parfois, un peu de retenue. Les solistes vocaux Christina Landshamer, Elisabeth Kulman, Maximilian Schmitt et Florian Boesch savent avec tout leur talent n’être que des voix qui ressortent, sans chercher à attirer l’attention. 

Dans tout ce mouvement, avec ses multiples ruptures, on sent Emmanuel Krivine tout à fait à son aise. Le Prestissimo conclusif est irrésistiblement enlevé, et conclut une exécution très bien maîtrisée, alerte, vivante, dont on ressort avec le sentiment d’avoir pris beaucoup de plaisir, même si l’on n’a peut-être pas touché au plus profond le message philanthropique de Beethoven. C’est aussi la force de ces chefs-d’œuvre immortels que de pouvoir nous proposer plusieurs lectures. Celle-là était indiscutablement cohérente.

Pierre Carrive 

Paris, Auditorium de Radio-France, le 7 novembre 2019

Crédits photographiques : Fabrice Dell'Anese

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