Pour approfondir Weinberg, deux nouveautés,  dont un hommage posthume à Chostakovitch

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Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) : Concertino pour violoncelle et cordes op. 43bis ; Concertino pour violon et cordes op. 42 ; Rhapsodie sur des thèmes moldaves op. 47/3 ; Symphonie n° 7 pour clavecin et cordes op. 81. Tassilo Probst, violon ; Wen-Sinn Yang, violoncelle ; Andreas Skouras, clavecin ; Jewish Chamber Orchestra Munich, direction Daniel Grossmann. 2021/22. Notice en anglais et en allemand. 78’ 32’’. Onyx4237.

Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) : Aurore, poème symphonique op. 60 ; Symphonie n° 12 op. 114 « In memoriam Dmitri Chostakovitch ». BBC Philharmonic, direction John Storgårds. 2022. Notice en anglais, en allemand et en français. 73’ 33’’. Chandos CHAN 20165.

Abondance de biens ne nuisant pas, on est heureux d’accueillir deux nouvelles publications consacrées à Mieczyslaw Weinberg. La reconnaissance de l’importance de son œuvre dans la musique du XXe siècle s’est accompagnée en quelques années d’un vaste enrichissement de sa discographie. Les détails biographiques de son existence tourmentée sont désormais bien connus grâce aux divers articles qui lui ont été consacrés dans Crescendo.

Le label Onyx propose un éventail de quatre compositions, dont les trois premières datent de la fin de la décennie 1940, en particulier de l’année 1948 au cours de laquelle, le 12 janvier, le beau-père de Weinberg, l’acteur juif Solomon Mikhoels, est assassiné en pleine rue à Minsk, sur ordre de Staline ; le forfait est déguisé en accident de voiture. C’est dans la foulée, en juillet, que le Concertino pour violon et cordes op. 42 est écrit. Cette partition proche du dernier romantisme, d’une petite vingtaine de minutes et en trois mouvements, débute par un Allegretto cantabile, dont la plainte réprimée n’empêche pas un motif dansé, avant un Adagio où l’émotion se donne libre cours et un final aux senteurs de valse. La douleur rejoint ici la chaleur humaine. Gidon Kremer domine la discographie de cette page avec la Kamerata Baltica (ECM, 2014), sans négliger d’autres gravures (CPO, 2015 ; Dux 2021). Le jeune violoniste munichois Tassilo Probst (°2002), s’il demeure quelque peu timide dans l’expression de l’émotion, crée toutefois un climat intéressant. Il est cependant plus à l’aise, juste après, dans la Rhapsodie sur des thèmes moldaves op. 47/3 de 1949, dont l’agilité populaire lui convient mieux.

Au cours du même été 1948, Weinberg compose son Concertino pour violoncelle et cordes op. 43 bis, esquisse du Concerto pour violoncelle op. 43 que Rostropovitch lui commandera et qui sera écrit en 1956. Dans la notice qu’il signe, le chef d’orchestre Daniel Grossmann considère que le second mouvement, Moderato espressivo, est l’un des plus représentatifs de la souffrance de Weinberg face à ce qu’il a enduré : l’assassinat, la crainte (réelle) d’être espionné à son tour, la plaie de la perte de sa famille dans l’Holocauste. Un avis corroboré par la douleur exprimée par un violoncelle méditatif, qui sonde les profondeurs de son âme. Le Suisse d’origine taïwanaise Wen-Sinn Yang (°1965), qui a été notamment premier violoncelle de l’Orchestre Symphonique de la Radio bavaroise et est à la tête d’une discographie d’où émergent des Suites de Bach (DVD Arthaus, 2005), officie ici avec un sens aigu de l’enjeu émotionnel. Il rejoint les références que sont Raphaël Wallfisch (CPO, 2019) et Pieter Wispelwey (Evil Penguin, 2022).

En abordant la Symphonie n° 7 pour clavecin et cordes, on fait un bond de plus de dix ans dans le temps. Dans l’intervalle, devenu suspect, Weinberg a été arrêté en 1953 et emprisonné. Une courageuse intervention de Chostakovitch et la mort de Staline l’ont sauvé. L’œuvre date de 1964, elle est dédiée à Rudolf Barshaï qui en assure la création. A la manière d’un concerto grosso qui serait transposé à l’époque moderne, cette partition, en cinq mouvements qui se jouent sans interruption, se déroule dans une atmosphère empreinte de finesse, qui laisse toutefois la place à des cordes sombres, de façon poignante. Le clavecin intervient par de brefs solos dans les deux premiers mouvements, il double parfois un violon ou un alto, comme un continuo ; il ne se manifeste ni dans l’Andante ni dans l’Adagio, avant de jouer un rôle de cristallisation dans un final aux rythmes exacerbés, avec effets spéciaux. Le Gréco-Allemand Andreas Skouras (°1972) révèle un beau talent dans la fluidité de son instrument, soutenu par les cordes du Jewish Chamber Orchestra de Munich, fondé en 2005 par Daniel Grossmann (°1978). L’ensemble, s’il apparaît investi, affronte une sérieuse concurrence discographique. Celle du créateur lui-même, Rudolf Barshai (Melodiya) pour commencer, mais aussi les plus récentes de Thor Svedlund (SACD Chandos, 2010), et de deux parutions Dux que nous avons commentées les 15 mars et 3 septembre 2020. C’est toutefois la version de Mirga Gražynité-Tyla (DG, 2022), avec un remarquable Kirill Gerstein au clavecin, que l’on considérera comme la référence majeure disponible.

Avec la Symphonie n° 12 « In memoriam D. Chostakovitch », le label Chandos ajoute une partition majeure de Weinberg à d’autres, déjà inscrites à son catalogue dans d’excellentes versions. Mais ce n’est pas le seul intérêt de ce remarquable album. Avant la symphonie, le BBC Philharmonic et son chef finlandais John Storgårds (°1963) proposent, en première mondiale, l’enregistrement, réalisé en studio le 15 septembre 2022, du poème symphonique Aurore, op. 60, qu’ils ont créé le 15 mai 2019 dans les studios de la BBC. Composée en 1957 pour le quarantième anniversaire de la Révolution russe, cette page d’un peu plus de 17 minutes semble, précise la notice du spécialiste weinbergien Daniel Fanning, ne pas avoir été jouée de son vivant malgré un contenu idéologique irréprochable. Contemporaine de la création de la Onzième de Chostakovitch, Aurore fait quelques emprunts à cet ami précieux, et est traversée par des épisodes tragiques -comme le massacre du Dimanche rouge, perpétré contre des manifestants par les troupes impériales, à Saint-Pétersbourg, le 9 janvier 1905, sur la place d’Hiver-, des marches et une glorification du régime, sous le couvert de chants révolutionnaires. Malgré les qualités d’une ingénieuse orchestration servie par une interprétation vibrante, le meilleur de Weinberg n'est pas à découvrir ici. 

Il se situe par contre tout à fait dans cette splendide Symphonie n° 12 dont l’écriture a été entamée quatre mois après le décès de Chostakovitch, survenu le 9 août 1975. Suivons le précieux guide Daniel Fanning. Weinberg n’avait plus écrit de symphonie purement instrumentale depuis le début de la décennie 1960, s’étant ensuite consacré à l’opéra. Cette vaste fresque, composée en trois mois et achevée le 29 février 1976, a été jouée pour la première fois en octobre 1979, sous la direction de Maxime Chostakovitch. On lira les péripéties autour de la dispute survenue entre Weinberg et le chef Kirill Kondrashin, un de ses interprètes réguliers, celui-ci exigeant des modifications et des coupures, que Weinberg, offensé, refusa, et autour du relais pris par le fils de Chostakovitch, présence passée sous silence en URSS après qu’il ait choisi de demeurer à l’Ouest en 1981. 

Le BBC Philharmonic et John Storgårds ont récemment enregistré, pour le même label, les cinq dernières symphonies de Chostakovitch. Dans une note, le chef précise qu’après cela, il lui semblait logique d’associer le poème symphonique inédit et la Symphonie n° 12 : C’est une œuvre émouvante et puissante. Depuis les dissonances grinçantes entre les timbales et le reste de l’orchestre qui joue à l’unisson, au début de sa longue quête vers une résolution recherchée avec acharnement, Weinberg ne compose pas dans l’ombre de Chostakovitch, mais laisse pleinement s’épanouir sa voix tout à fait singulière. On s’en convaincra tout au long d’un parcours passionnant, chauffé à blanc par les interprètes, après un premier mouvement de vingt minutes à la fois puissantes, lyriques et contrastées, un Scherzo avec une marche aux accents féroces, un Adagio à la douleur contrôlée et un final intense, où voisinent des autocitations (de l’opéra La Passagère), mais aussi des références à l’ami disparu. Une version de premier plan de cette Douzième, qui vient supplanter celle de l’Orchestre symphonique de Saint-Pétersbourg dirigé, avec moins d’élan, par Vladimir Lande (Naxos, 2014, couplage avec une suite de ballet). La publication Chandos bénéficie par ailleurs d’un rendu sonore supérieur (gravure des 24 et 25 novembre 2022).   

 Son : 8  Notice : 7  Répertoire : 10  Interprétation : 8 (Onyx)

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 9 (Chandos)

Jean Lacroix

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