A Genève, un chef de classe : Daniele Gatti
Pour un concert intitulé ‘Ode à la nature’, l’Orchestre de la Suisse Romande invite le chef d’orchestre milanais Daniele Gatti, actuel directeur principal du Teatro del Maggio Musicale Fiorentino et futur directeur musical de la Sächsische Staatskapelle de Dresde à partir de l’automne 2024.
Son programme commence par une page peu connue de Felix Mendelssohn, l’ouverture de concert Meeresstille und glückliche Fahrt (Mer Calme et heureux voyage) op.27 datant de 1828 et inspirée par deux brefs poèmes de Goethe. En un pianissimo profond, l’Adagio initial est conçu comme un lento monochrome presque lugubre que les vrilles de la flûte finissent par animer en suscitant la progression des cordes vers un Allegro vivace où la précision du trait va de pair avec la noblesse d’expression. Et par un subtil rubato des violoncelles s’amorce la coda brillante avec sa fanfare de cuivres annonçant joyeusement l’arrivée à bon port.
Daniele Gatti propose ensuite l’une des pages symphoniques majeures de Claude Debussy, La Mer, qu’il débarrasse d’un flou impressionniste pour tirer au cordeau l’étagement des quintes à vide puis isoler chaque segment mélodique, tout en concédant la primauté aux cuivres. Les violoncelles divisés affirment l’avènement de midi en un lyrisme pathétique qui culminera avec le choral solennel des cuivres. Jeux de vagues est emporté par une houle frémissante sous les brusques contrastes d’éclairage que diluera le pianissimo des harpes, tandis que Dialogue du vent et de la mer prend un aspect menaçant par le grondement sourd des timbales et violoncelles provoquant de déchirants éclats. Les bois traduisent la progression irrépressible du vent entraînant le déferlement des éléments en furie, sans aucun répit jusqu’à la coda des cuivres et au cinglant coup de timbale conclusif.
La seconde partie (nature oblige !) est dévolue à la célèbre Symphonie Pastorale de Beethoven que Daniele Gatti aborde avec une nonchalance confiante qui se laisse émoustiller par la joie de vivre, pendant que les cordes graves imposent un climat serein que pimentent les bois. Dans le da capo du motif initial, le trait s’affine en jouant subtilement des nuances afin de laisser affleurer la tendresse des émotions. La Scène au bord du ruisseau est développée comme une page de musique de chambre toute en demi-teintes suaves insufflant une délicate poésie qui se prolonge durant les premières mesures de la Réunion joyeuse de paysans. La dynamique s’accélère avec les accents pesants d’un ländler brutalement interrompu par un suspense mystérieux avant que n’éclate l’Orage, véritable cataclysme charriant l’acidité des vents. Le ciel se rassérène pour faire place à cet hymne panthéiste que devient ici le Chant des pâtres reconnaissants qui confine à une exaltation sans borne.
Et c’est avec un enthousiasme délirant que le public réserve un triomphe à Daniele Gatti qui vainc sa timidité naturelle pour esquisser un sourire de gratitude. Un concert mémorable !
Genève, Victoria Hall, 8 novembre 2023
Paul-André Demierre
Crédits photographiques : Marco Borggreve