Premier Livre du Clavier bien Tempéré, distillé au clavicorde

par

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Das Wohltemperierte Klavier, Teil 1, BWV 846-869. Ulrika Davidsson, clavicorde. Livret en anglais. Janvier-juillet 2020. TT 61’51 + 67’35. Organroxx ORG 08

Au piano, clavecin, orgue ou clavicorde, le Clavier bien Tempéré est un vieux compagnon de route pour Ulrika Davidsson. À l’instar hier de Ralph Kirkpatrick (Archiv, 1961) ou Colin Tilney (Hyperion, 1988, pour le Livre I), la musicienne suédoise a choisi l’expressivité cotonneuse du clavicorde, les subtiles nuances dynamiques, et le contact intimiste qu’il permet. Un avertissement invite à écouter à niveau modéré pour ne pas forcer le volume naturel de l’instrument, quoiqu’on serait tenté de le faire pour s’illusionner d’un surcroît de contraste. En l’occurrence, un modèle à deux claviers qui se font face, comme une sorte de vis-à-vis, construit par Joel Speerstra et Per Anders Terning en s’inspirant d’un Silbermann du musée de Nuremberg. La facture ambitionne un renfort de richesse harmonique, et un épanouissement dans le bas du spectre.

Dans l’ensemble, au sein d’une poésie diaphane (Prélude en mi bémol mineur), les tempi sont alertes (Prélude en fa dièse majeur), ménagent le rebond de la danse (Préludes en ré mineur, en la bémol majeur), n’édulcorent trop le drame (Prélude en ut mineur), ni les procédés d’Intensification du Prélude en mi mineur. La sensibilité ne rime pas avec mollesse (Fugue en fa mineur), la concentration ne veut s’alanguir dans la conduite sostenuto du BWV 852. Et pourtant certaines constructions, intrinsèquement privées de résonnance, semblent traîner la patte (la Fugue en sol mineur, et combien d’autres ?).

Derrière ces trésors de délicatesse, tamisés par une captation éteinte et d’un timide relief, parfois enfin perfusés d’un rai de lumière (le Prélude en la majeur, en vertu de la tessiture mélodique, certes), comment taire que le grand œuvre du Cantor ne ressort pas ici sous sa physionomie la moins fade ? Que reste-t-il de cette vertigineuse exploration de l’univers tonal que, sous les doigts de Sviatoslav Richter, Friedrich Gulda, Edwin Fischer ou Gustav Leonhardt, l’on écouterait à genou ? Une interprétation méritoire, en tout point honorable, tributaire d’une légitime vocation domestique de la Hausmusik telle qu’on la pratiquait au foyer des Bach, mais qui dans l’absolu se heurte à la gageure : au-delà d’un tendre bréviaire, trouver dans le raffinement du timbre évanescent une éloquence qui pendant deux heures maintiendrait l’attention en proie au robinet d’eau tiède. 

Son : 7,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 10 – Interprétation : 7,5

Christophe Steyne

 

 

 

 



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