Premier volume d’une intégrale Böhm par Christophe Guida, sur l’orgue de Wissembourg

par

Georg Böhm (1661-1733) : Préludes et Fugues en ut majeur, ré mineur, la mineur. Ach wie nichtig, ach wie flüchtig. Treuer Gott, ich muss dir klagen - Freu dich sehr, O meine Seele. Auf meinen lieben Gott. Gelobet seist Du, Jesu Christ. Christe, der Du bist Tag und Licht. Wer nun den lieben Gott lässt walten. Herr Jesu Christ, dich zu uns wend. Christophe Guida, orgue Thomas de l’église Saint-Jean de Wissembourg. Livret en français, anglais. Juin 2022. TT 76’35. Paraty 1823145

Titulaire à Notre-Dame de Vincennes, professeur au Conservatoire de Chartres, Christophe Guida se penche ici sur une grande figure de l’orgue baroque nord-allemand. Originaire de Thuringe, Georg Böhm compléta son apprentissage à Hambourg, avant de s’installer à Lüneburg où il anima la console de l’église Saint-Jean pendant la seconde moitié de sa vie. C’est en cette ville qu’il put fréquenter Johann-Sebastian Bach et probablement l’instruire, lui transmettant entre autres son goût pour la musique française et l’ornementation, tout autant que son admiration pour les grands maîtres hanséatiques comme Dieterich Buxtehude (1637-1707) et Johann Adam Reinken (1643-1722).

De ce prolifique compositeur survivent un catalogue de musique religieuse, et des pièces pour clavier dont une dizaine de Suites pour clavecin. La part organistique illustre tant les genres profanes que sacrés : une série de diptyques et triptyques avec fugue, ainsi que des préludes et variations de choral, quoiqu’aucune large fantaisie comme purent en léguer Heinrich Scheidemann, Nicolaus Bruhns ou Vincent Lübeck –si l’on excepte la brève élaboration sur l’hymne pascale Christ lag in Todesbanden. Malgré la banalité de quelques tournures mélodiques, on peut mesurer un art inventif qui fut certainement stimulé par l’instrument d’une cinquantaine de jeux que le facteur Matthias Dropa avait reconstruit dans la décennie 1710 en la Johanniskirche.

Depuis les enregistrements qu’Hans Heintze réalisa au milieu des années 1950 pour DG-Archiv en cette emblématique église, le corpus böhmien fut souvent invité dans diverses anthologies, certaines entièrement consacrées au compositeur. On citera les contributions d’Arno Schönstedt (Psallite), François Ménissier (Adda), Jean-Charles Ablitzer (Harmonic Records), Christiaan Teeuwsen (Naxos), Bernard Foccroulle à la Laurenskerk d’Alkmaar (Ricercar, mai 2011). Parmi les rares intégrales, on mentionnera Marie-Claire Alain à Viborg et Nyborg (Erato), Sven-Ingvart Mikkelsen à Husum et Logumkloster (Kontrapunkt), les deux albums de Jozef Sluys à Waltershausen et Uithuizen (Ars Musici, août 2000, juillet 2002), le superbe livre-disque de Stef Tuinstra à la Jacobikirche de Hambourg et à Zandeweer (Document), le coffret d’Hans Davidsson à Göteborg (Loft), et le maillon de Friedhelm Flamme à Duderstadt (CPO, avril 2009) tiré de son vaste panorama des « Norddeutsche Orgelmeister ».

Le présent disque rassemble une moitié de ce legs –gageons que l’autre adviendra dans un second volume, ce que l’on espère au regard de la remarquable prestation que nous entendons ici. Le programme débute par l’enthousiaste chef d’œuvre de Böhm, le Praeludium en ut majeur. À la tribune de St Johannis, là où elle fut conçue, Joachim Vogelsänger (Nomine, Orgellandschaften, Folge 1) retrouvait la verve et les sucs acidulés qui purent inspirer cette page. A contrario, sur le souffle enjôleur du Marcussen de la cathédrale de Lübeck (Danacord, juillet 2000), Hans Helmut Tillmanns flattait l’élégance et l’opulence, dans un séduisant Gemischter Stil. Pour sa part, Christophe Guida expose le texte avec une sobre clarté qui manque un peu d’élan et de panache. On est convaincu, mais pas transporté. Lui non plus pas très polisson, Friedhelm Flamme creusait du moins une édifiante lecture, étayée sur les remous infragraves d’un Untersatz 32’ à faire trembler les murs (les contre-sol de dominante !). Dans le couple en ré mineur, l’organiste marseillais respecte encore une saine articulation, et des couleurs idoines, laissant gronder les anches du Posaune 16’.

C’est surtout dans les guises de choral que Christophe Guida affirme son caractère, singularisant une narration vive et soutenue. Voire peut-être trop serrée pour exhaler la poésie du Gelobet seist Du, Jesu Christ ou du Christe, der Du bist Tag und Licht… Cet art flamboyant culmine toutefois dans un chapelet sur Freu dich sehr, O meine Seele égrené avec franchise et vigueur. Dans cette fresque, la captation ne présente pas la même transparence que le SACD de Martin Neu à Herzogenaurach dans son « Bach and the North German Tradition » (Audite, mai 2008), mais les micros de Roland Lopes cernent de près la palette de l’orgue Thomas de Wissembourg. Dotés d’un riche plan de Positif et Récit, les 37 jeux (trois claviers & pédalier) dispensent la variété de textures et l’idiome attendus. Sans que le livret ne daigne partager les secrets de registration… Dans la conduite manualiter du Ach wie nichtig, ach wie flüchtig, dans le Auf meinen lieben Gott, dans le Wer nun den lieben Gott lässt walten, l’interprète sait doser la fluidité et surtout le contraste expressif pour que la polyphonie se phrase avec une ardente éloquence. Le Herr Jesu Christ, dich zu uns wend qui referme le CD confirme cette approche volontariste et péremptoire, prompte à affermir le verbe des partitions. S’en dégage un autoritaire portrait de l’organiste de Lüneburg.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

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