Première en DVD pour Landi et sa Mort d’Orphée :  orchestre et voix superbes, réalisation bancale… 

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Stefano LANDI (1587-1639) : La Morte d’Orfeo, tragi-comédie pastorale en cinq actes. Cecilia Molinari, Gaia Petrone, Rosina Fabius et Magdalena Pluta, mezzo-sopranos ; Renato Dolcini et Alexander Miminoshvili, barytons ; Juan Francisco Gatell et Emiliano Gonzales Toro, ténors ; Kacper Szelazek, contreténor ; Salvo Vitale, basse. Les Talens Lyriques, direction Christophe Rousset. 2020. Notice en anglais. Pas de livret. Sous-titres en italien, allemand, anglais, français, japonais et coréen. 111.00. Un DVD Naxos 2. 110661. 

Quelques années avant son drame musical de 1631 Il Sant’Alessio, ressuscité par les Arts Florissants de William Christie avec Philippe Jaroussky et Max Emanuel Cencic (CD et DVD), Stefano Landi écrit en 1619 un autre drame, pastoral celui-là, La Morte d’Orfeo. Eurydice a eu le destin que l’on connaît. La déesse Teti et Fato, le Destin, prédisent qu’Orphée va mourir à son tour le jour de son anniversaire. Pour la fête, invitation a été lancée aux dieux, mais Bacchus en est exclu, ce qui va le rendre furieux. Entretemps, le père d’Orphée, Apolline, met son fils en garde contre les femmes car il ne s’est pas toujours bien conduit avec elles. La vengeance de Bacchus est terrible : il pousse les Ménades à assassiner Orphée, mettant au désespoir sa mère, Calliope. L’esprit du défunt erre, il espère être réuni à Eurydice, mais celle-ci a bu l’eau du fleuve Léthé qui fait oublier, ne le reconnaît pas et se moque de lui. Orphée sera finalement transformé en étoile. 

Sur cette trame, Landi a construit une partition musicale d’une grande subtilité et d’une grande profondeur expressive, qui fait la part belle aux voix et que l’on connaît par deux enregistrements en CD, l’un de Stephen Stubbs chez Accent en 1987, l’autre signé François Lasserre en 2006 (Zig Zag Territoires). A la tête des Talens Lyriques, Christophe Rousset en donne une version magistrale, dans une atmosphère musicale d’une grande vivacité, avec des récitatifs inspirés et des ensembles choraux fluides. Un DVD Naxos (disponible aussi en Blu Ray) s’en fait l’écho : il s’agit d’une représentation publique, filmée les 23 et 26 mars 2018 au Muziekgebouw aan ‘t IJ d’Amsterdam, dans la mise en scène de Pierre Audi, sa dernière au Dutch National Opera avant de devenir directeur du Festival d’Aix-en-Provence. C’est une première en DVD.

Stefano Landi, originaire de Rome où il décédera, y est organiste et chanteur, puis maître de chapelle à Padoue pendant deux ans avant d’occuper la même fonction lors de son retour à Rome. Au service de la famille de Savoie puis des Barberini, dont l’un des membres devient pape sous le nom d’Urbain VIII, il est engagé comme alto dans le chœur pontifical. On ignore qui est l’auteur -Landi lui-même ?- du livret de La Morte d’Orfeo, préfiguration de l’opéra romain. L’œuvre contient des côtés dramatiques et tragiques intenses et des éléments émotionnels, mais aussi des moments de détente bienvenus. Le plateau vocal est à la fête : le ténor Juan Francisco Gatell, dans le rôle d’Orphée, a un timbre lumineux et une belle présence scénique. Il est le seul protagoniste masculin à n’avoir la charge que d’un seul rôle, ce qui est le cas aussi pour la mezzo Magdalena Pluta, vraiment déchirante en mère d’Orphée qui apprend le destin réservé à son fils. Les autres chanteurs occupent deux emplois, parfois plusieurs, et se coulent avec facilité et finesse dans les personnages qui leur sont attribués. Ainsi, la mezzo Cecila Molinari, voix vibrante, chante-t-elle tout autant Teti qui prédit le décès d’Orphée qu’une Eurydice en plein rejet de l’époux qu’elle ne reconnaît pas. On notera aussi la présence noblement assurée du ténor Emiliano Gonzales Toro en père d’Orphée ; le dialogue au cours duquel il met son fils en garde contre les femmes vaut son pesant de conviction. C’est l’ensemble de ce plateau vocal, porté par une musique riche et variée, aux contrastes éloquents, qui ajoute de la valeur à cette production.

On est moins satisfait des autres aspects. Si la mise en scène de Pierre Audi, qui a déjà connu des moments plus heureux, se révèle acceptable dans la mesure où elle laisse les personnages évoluer et s’exprimer dans un espace qui ne réduit pas leur présence, on souffrira devant l’éclairage laborieux de Bernd Purkrabek, les décors peu attrayants de Christoph Hetzer et les costumes banalement excessifs, pour ne pas dire laids, de Robby Duiveman, que l’on dirait sortis d’un magasin où l’on n’aimerait pas faire son marché. Par ailleurs, on ne peut pas toujours bien suivre l’action : elle se déroule trop souvent sur une scène assombrie, ce qui ne dérange peut-être pas lorsque l’on est dans la salle, mais est rédhibitoire dans un contexte filmé. D’autant plus qu’il n’y a pas de livret, que le synopsis est maigre et que l’on ne peut donc que se rabattre sur les sous-titres pour suivre l’action détaillée.

En définitive, ce DVD vaut par la (re)découverte d’une superbe partition, servie par des musiciens et des chanteurs excellents, dirigés par Christophe Rousset dans sa forme la meilleure. Mais sur le plan scénique, on ne peut qu’espérer qu’une autre production vienne rendre mieux justice à cette Morte d’Orfeo.

Note globale : 7

Jean Lacroix   

 

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