Révélation d’une nouvelle incarnation d’Armide

par

Antonio SACCHINI (1730-1786)
Renaud, tragédie lyrique en trois actes
Maria Kalinine (Armide), Julien Dran (Renaud), Jean-Sébastien Bou (Hidraot), Julie Fuchs (une Coryphée), Pierrick Boisseau (Adraste), solistes, Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Les Talens lyriques, dir.: Christophe ROUSSET
2013-DDD-59’38’’ et 48’41’’- Textes de présentation en français et en anglais - chanté en français – livret en français et anglais – Palazzetto Bru Zane – Ediciones Singulares ES 1012

Antonio Sacchini est un peu connu par son opéra Oedipe à Colone (création posthume en 1786), dont Dynamic a réalisé un enregistrement en 2004. C’est à peu près tout. Il était donc bon de connaître autre chose de ce compositeur important, arrivé à Paris au moment du départ de Gluck. Précédé d’une jolie réputation en Italie d’abord, puis à Londres, il a été vite adopté par Marie-Antoinette, et devint la coqueluche des Parisiens aux côtés de Piccini. Renaud, partiellement adapté d’un ancien opera seria Rinaldo, fut bien accueilli en 1783, et l’on y admira l’union harmonieuse du drame gluckiste avec la grâce mélodique de Piccini. Les innovations de Gluck avaient complètement bouleversé la tragédie lyrique issue de Rameau, et le public ne concevait plus que l’on écrivît autrement, faisant table rase d’un passé glorieux. Cette révolution soudaine, menée par des musiciens étrangers, allait, paradoxalement, contribuer à la naissance du Grand Opéra français. Certes, nous n’en sommes pas encore là, quoique plusieurs pages de Renaud annoncent clairement le préromantisme de Méhul ou de Spontini, telle la scène du serment à la fin du premier acte, ou le poignant air d’Armide au second : “Barbare amour ! Tyran des coeurs !”, salué dès la création. L’opéra se caractérise par une alternance équilibrée entre scènes vigoureuses (dès la dynamique ouverture) et airs d’un lyrisme intense. La trame de l’abbé Pellegrin diffère de celle de Quinault en ce sens qu’elle se concentre uniquement sur les relations amour/haine entre Renaud et Armide, attisées par Hidraot, le père d’Armide, roi des Musulmans, et rôle de premier plan ici. Pas d’Ubalde ni de chevalier danois donc. L’opéra a beau s’appeler Renaud, c’est Armide, la figure centrale, avec non moins de trois grands airs, tous trois admirables de sentiment, et une fort belle scène d’incantation aux Enfers, avec intervention des trois Furies… masculines. Maria Kalinine, élève d’Eda-Pierre, se révèle une formidable Armide, amoureuse féroce plutôt que magicienne, variant à merveille les facettes dramatiques de son personnage : une incarnation de première envergure ! Julien Dran, en Renaud, peut être héroïque dans le spectaculaire air “Déjà la trompette guerrière”, à l’acte I, mais tendre aussi dans ses duos successifs. Quant à Jean-Sébastien Bou, brillant Mârouf récemment à l’Opéra-Comique, il confirme sa place au premier rang des barytons français de notre temps par son interprétation véhémente d’Hidraot, sonore et impressionnante dès son récitatif d’entrée. Pour les seconds rôles, signalons le touchant Adraste de Pierrick Boisseau, émouvante figure d’amant malheureux, la fière Antiope, reine des Amazones, de Chantal Santon, et surtout, malgré la brièveté de son intervention, l’éblouissante Coryphée de Julie Fuchs. A cette jeune chanteuse plus que prometteuse, échoit l’honneur de terminer l’oeuvre par un long air pyrotechnique célébrant la gloire de Renaud : ses vocalises n’ont rien à envier à celle de la Konstanze de L’Enlèvement au sérail ! Une fois de plus, les Talens lyriques de Christophe Rousset subjuguent par leur parfaite adéquation au style de ce répertoire dont ils poursuivent la réhabilitation. Nervosité, vivacité, fièvre dramatique : tout y est. Enfin – mais faut-il encore le souligner - l’appareil critique de ces livres-disques, dû à Benoit et à Alexandre Dratwicki, rehausse, par sa qualité, une production en tous points exemplaire.
Son 10 - Livret 10 - Répertoire 8 - Interprétation 10
Bruno Peeters

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