Première mondiale en vidéo pour Alfredo Il Grande de Donizetti

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Gaetano Donizetti (1797-1848) : Alfredo Il Grande, opéra seria en deux actes. Antonino Siragusa (Alfredo), Gilda Fiume (Amalia), Lodovico Filippo Ravizza (Eduardo), Adolfo Corrado (Atkins), Valeria Girardello (Enrichetta), Floriana Cicio (Margherita), Antonio Garés (Guglielmo), Andrés Agudelo (Rivers) ; Chœurs de la Radio hongroise ; Orchestre de l’Opéra Donizetti, direction : Corrado Rovaris. 2023. Notice et synopsis en italien et en anglais. Sous-titres en italien, en anglais, en français, en allemand, en japonais et en coréen. 136’. Un DVD Dynamic 38031. Aussi disponible en Blu Ray. 

Un tonnerre d’applaudissements et des bouquets de fleurs, lancés sur scène pour acclamer les protagonistes de cette soirée de novembre 2023 au Teatro Donizetti de Bergame, saluent une prestation vocale globalement remarquable, qui met, post mortem, du baume au cœur de Donizetti, à l’occasion du bicentenaire de la création de son Alfredo Il Grande. Il y a deux siècles, le 2 juillet 1823, l’opéra fut mal accueilli au Teatro San Carlo de Naples et disparut de l’affiche dès le lendemain (après trois jours, selon d’autres sources). Le public du XIXe siècle se serait-il trompé à ce point ? 

Lorsque Donizetti compose une œuvre lyrique autour du personnage du roi d’Angleterre Alfred le Grand (848/49-899), il compte déjà à son actif une quinzaine d’opéras. À Naples, d’où est parti Rossini fin 1822 après y avoir connu de multiples succès, Donizetti se trouve face à un défi : faire ses preuves. On sait qu’il y parviendra, grâce à une série de productions, dont Lucia di Lammermoor en 1835, ou Roberto Devereux deux ans plus tard. Mais en 1823, Alfredo Il Grande est un échec considérable. Il est dû en grande partie à un faible livret, signé avec nonchalance par Andrea Leone Tottola, né à Naples, à une date inconnue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, et décédé dans sa ville natale en 1831. Ce librettiste n’était pourtant pas n’importe qui : il avait offert à Rossini les textes de Mosè in Egitto, Ermione, La donna del lago ou Zelmira, et en avait écrit d’autres pour Mercadante, Mayr, Paer ou Bellini (Adelson e Salvini). Sa première collaboration avec Donizetti s’était bien déroulée, déjà à Naples, au Teatro Nuovo, en mai 1822, avec La Zingara qui totalisa, soirées après création et reprises, une cinquantaine de représentations en quelques mois. 

Pour Alfredo Il Grande, Donizetti avait à sa disposition de grandes voix rossiniennes, comme le ténor Andrea Nozzari (1776-1832) ou la basse Michele Benedetti (1778-1828), créateurs à eux deux d’une quinzaine de rôles de l’auteur du Barbier de Séville, ainsi que la soprano londonienne Elisabeth Feron (1797-1853), alors dans l’éclat de sa jeunesse. Malgré ce trio de qualité, il a travaillé vite, trop vite sans doute, même si de beaux duos et des ensembles réclamant de la vitalité et de la virtuosité sont nichés au cœur d’une orchestration colorée. Mais la sauce, dans la ligne du maître de Pesaro, n’a pas pris. L’œuvre va tomber dans l’oubli. Il en existe des extraits discographiques, réalisés pour Opera Rara il y a trois décennies, avec Brendan McBride et Della Jones. La résurrection entreprise à Bergame, sur la base d’une nouvelle édition critique, est donc la bienvenue. Il faut la considérer comme une absolue première mondiale.

Au IXe siècle, les Danois, menés par le général Atkins, ont envahi le Wessex. Le roi Alfredo, défait, se cache. Son épouse, la reine Amalia, et le général Eduardo sont à sa recherche. Au moment où il va être pris dans une embuscade, le roi est sauvé par des bergers et des paysans. Imprudente, la reine est capturée et prise en otage. Elle sera libérée, et une bataille aura lieu, dont Alfredo sortira vainqueur. Le souvenir de ce souverain, qui favorisa l’éducation, a pris une dimension particulière en Angleterre, en raison de son rôle d’unificateur judidique et culturel. Le sujet inspira aussi Johann Simon Mayr (première gravure mondiale chez Naxos en 2022). 

Sur cette trame épique, Donizetti installe une série de personnages, qu’il esquisse sans trop en approfondir la psychologie, ainsi que le souligne le chef d’orchestre, Corrado Rovaris, dans un entretien reproduit dans la notice. L’affrontement entre les deux chefs de guerre manque d’épaisseur. La musique est agréable, ainsi que les chœurs et les airs chantés, en particulier le deuxième acte, mais sans faire preuve d’une véritable originalité. On prend néanmoins du plaisir à découvrir l’ensemble, qui contient quelques pépites, grâce à un plateau vocal homogène et investi, très attentif à son élocution. Le ténor sicilien Antonio Siragusa, qui s’est produit dans le bel canto sur de multiples scènes dont le Metropolitan, affiche un registre de qualité. Il est un Alfredo courageux et un mari attentif. Sa Cavatine de l’Acte I est très réussie. La soprano Gilda Fiume, autre habituée de ce type de répertoire, est son épouse Amalia ; sa musicalité et sa maîtrise technique dans les aigus sont séduisantes. Le Rondo final qui lui est attribué est un feu d’artifice vocal, qui rappelle celui de la fin de La Donna del lago. La basse Adolfo Corrado est Atkins, le chef des Danois ; il a l’autorité voulue. Le baryton Lorenzo Filippo Ravizza, le général qui sauve la reine, bénéficie d’une belle présence. 

Les personnages du peuple fidèle à Alfredo, importants dans l’action, sont excellents ; ils sont confiés à de jeunes voix. Antonio Garés est un berger à la voix souple et chaude. Floriana Cicio est charmante en Margherita. On soulignera la prestation de la mezzo Valeria Girardello, au chant d’une moelleuse chaleur, qui, dans le rôle d’Enrichetta, assume un air superbe dans l’Acte II. Les chœurs de la Radio hongroise, vaillants de bout en bout, tiennent en mains les partitions déployées (non apprises par cœur ?), ce qui entraîne souvent un effet de masse un peu statique, style version de concert. Quant à l’orchestre, il est galvanisé par Corrado Rovaris, originaire de Bergame, très concerné par la musique qu’il rend précise, énergique et vigoureuse, claire et attrayante. Il est pour beaucoup dans la réussite de cette soirée du 10 novembre 2023. 

Signée par Stefano Simone Pintor, la mise en scène participe à la réussite, même si elle pose quelques questions, qui restent en suspens. Un écran géant couvre tout le fond du plateau. Des vidéos défilent, sans être envahissantes : enluminures, morceaux de parchemins et de documents médiévaux, mais aussi scènes de combats, bibliothèques détruites et livres brûlés. Ainsi qu’une étonnante insertion d’images filmées lors de l’attaque du Capitole, à Washington, le 6 janvier 2021, avec focalisation sur un énergumène devenu célèbre, revêtu de peaux de bête, le crâne surmonté de cornes… trophées que l’on retrouve sur la tête des envahisseurs danois du Moyen Âge ! Il y a des anachronismes, comme la présence récurrente de croix rouges sur les costumes des soldats (les croisades ne datent pourtant pas du IXe siècle) et sur les partitions utilisées par le chœur, habillé en tenues de soirée. Le symbole de la Croix-Rouge internationale, qui soigne des soldats contemporains, apparaît fugitivement. On s’interroge. Pintor donne une explication un peu nébuleuse, autour du thème de la paix, dans un autre entretien, à lire dans la notice. Quoi qu’il en soit, les choix ne nuisent pas à l’action, qui avance à grands pas. Les accessoires sont peu nombreux (tabourets, trappes, quelques armes). Le plateau est légèrement incliné, devant l’écran. Lorsqu’il est envahi par le chœur, qui prend de la place, les solistes occupent l’avant-scène. Rien de gênant : un habile jeu de lumières contribue à ouvrir l’espace. 

Après avoir visionné ce spectacle bien filmé, on partage la joie du public d’aujourd’hui. Non seulement, une partition oubliée est mise à disposition dans d’excellentes conditions scéniques et vocales, mais on participe à une aventure collective pleine de mérites. Alfredo Il Grande méritait bien cette tardive résurrection.      

Note globale : 8,5

Jean Lacroix   

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