Casse à l’Opéra : Les Brigands ne font pas dans la dentelle
L’Opéra de Paris ouvre sa saison avec Les Brigands, opérette d’Offenbach qui fut créée le 10 décembre 1869 au Théâtre des Variétés. Quelques mois plus tard, les « bruits de bottes » seront ceux des armées prussiennes. Les librettistes Meilhac et Halévy décrivent la déconfiture de bandits qui « volent au-dessus de leurs moyens ». Curieusement, la dynamique de l’action ne progresse pas dans un mouvement ascendant mais décline, de péripéties en péripéties, jusqu’à la déconfiture finale des héros.
Dans son repaire « à la frontière de Mantoue et Grenade » (sic), le chef des brigands Falsacappa demande à sa fille, « Fiorella la brune » de l’aider à renflouer ses caisses vides. Un jeune fermier, Fragoletto (interprété par une mezzo), devient malfrat par amour, poursuivi par des carabiniers qui, « par un malheureux hasard », arrivent « toujours trop tard » ! Les brigands découvrent opportunément que le cortège de la princesse de Grenade va bientôt recevoir du prince de Mantoue la somme faramineuse de 3 millions.
Dans l’auberge, lieu de la rencontre, les brigands se déguisent en marmitons puis capturent italiens, ducs et carabiniers dont ils empruntent successivement les costumes. Enfin, travestis cette fois en « faux Espagnols », ils se présentent pour réclamer l’argent... que le caissier a dépensé.
Mais voici que paraissent les « vrais espagnols » dans un époustouflant tableau inspiré de Vélasquez (très applaudis) qui démasquent imposteurs et voleurs. Pardonnés de justesse, ces derniers repartent penauds, décidés à devenir honnêtes !
Ce piteux dénouement est d’autant plus saisissant que c’est la drag queen obèse Divine, célèbre aux États-Unis dans les années 1960-70, qui incarne le chef des voleurs. Boudinée dans un fourreau rouge-vif, brandissant un pistolet au premier acte, la voici au final clopinant piteusement sur un seul escarpin, en loques, perruque à l’envers. Au terme de trois actes pétaradants, ce tableau prête à réflexion.
La déchéance de ces brigands que le metteur en scène Barrie Kosky présente comme des « pirates terroristes queer, conjuguant fluidité des genres et radicalisme politique » éveille plus de pitié que d’amusement et c’est peut-être là que réside finalement la provocation dont il se réclame.
La frénésie du premier acte en couleurs fluos, costumes sado-masochistes et chorégraphies copulatoires étourdit sans surprendre. Tout cela a déjà été vu, revu et donne à l’ensemble un côté « vintage » peut-être voulu. Quant à la profanation des symboles catholiques, elle appartient désormais à un arsenal de poncifs usés jusqu’à la corde.
Heureusement, les deux actes suivants renouent avec des rythmes et des costumes qui constituent le fonds de commerce du répertoire d’opérette. Le délicieux trio des Marmitons est agréablement conduit par Falsacappa (Marcel Beekman décidément protéiforme aussi bien vocalement que scéniquement), Fragoletto (Antoinette Dennefeld de plus en plus assurée au fil des actes) et Pietro (Rodolphe Briand, ténor/acteur chevronné).
Le personnage de Fiorella s’éclaire de la spontanéité joyeuse de Marie Perbost. Mathias Vidal tire son épingle du jeu en prince de Mantoue bellâtre assailli d’une meute de bonnes-sœurs en folie. Yann Beuron et Laurent Naouri mettent leur expérience au service d’une caractérisation stylisée du baron de Campotasso et d’un inquiétant chef des carabiniers.
Philippe Talbot prête sa verve scénique au comte de Gloria-Cassis tandis qu’Adriana Bignagni Lesca, princesse au timbre sombre et incandescent fait preuve d’un sens comique très pertinent. Eric Huchet, Franck Leguérinel comme Doris Lamprecht étoffent habilement une distribution pléthorique.
La troupe d’acteurs alterne, comme il est habituel, blagues d’actualité et sketchs. Sans voler très haut, ils font mouche mais peuvent aussi tomber complètement à plat (poussif sketch de l’aspirateur devant le rideau). Le Caissier (Sandrine Sarroche) promu ministre des finances est sonorisé pour son monologue rimé et s’abstient de chanter vraiment. Dommage pour des couplets qui sont habituellement un morceau de bravoure.
En dépit d’un travail scénique d’une précision et d’une efficacité quasi militaire, les chœurs -eux aussi très nombreux- tâtonnent pour trouver leurs marques dans l’agitation générale.
De son côté, le chef d’orchestre Stefano Montanari s’attache à faire sonner vigoureusement une musique qui n’en demande pas tant.
Certes, le metteur en scène évoque le cirque et déclare que la musique d’Offenbach « sent la sueur et l’ail ». Il se trompe -son parfum est celui des loges de théâtre, des cocottes, des p’tites femmes de Paris c'est-à-dire des violettes et du patchouli. Il est gracile et fragile, corrosif et pétillant, il est fait de contrastes, de rêverie et d’élans, il stimule l’imaginaire et n’impose rien, il suggère et n’exhibe jamais. Le fracas le brise.
Mais, peu importe... puisqu’il est ici question d’une autre histoire.
Bénédicte Palaux Simonnet
Paris, Palais Garnier, le 21 septembre 2024
Crédits photographiques : Agathe Poupeney / OnP