Quand Dauvergne troque la sandale pour le cothurne

par

Antoine DAUVERGNE (1713-1797)
Hercule mourant, tragédie lyrique en cinq actes

A. Foster-Williams (Hercule), V. Gens (Déjanire), E. Gonzalez Toro (Hilus), E. Crossley-Mercer (Philoctète), J. Fuchs (Iole), J. Azzaretti (Dircé), solistes, Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Les Talens Lyriques, dir.: Christophe ROUSSET
2011-DDD-Live-59’ 39’’ et 79’ 37’’- Textes de présentation en français et en anglais – chanté en français – Aparté AP042

Adoubé par Rameau, célèbre avant Gluck, Dauvergne n’était, jusqu’à peu, connu que comme l’un des fondateurs de l’opéra-comique, avec Les Troqueurs (1753). Son catalogue comprend pourtant un bon nombre de tragédies lyriques, tout comme celui de Grétry avec cette Andromaque qui avait étonné à son apparition récente. La tradition Lully-Rameau restait forte, à cette époque de fin d’Ancien Régime, et l’on n’y dérogeait pas trop. Surtout dans son cas, Dauvergne ayant été, à plusieurs reprises, directeur de l’Académie Royale de Musique. Cet Hercule mourant (1761) s’inscrit dans la lignée de la tragédie lyrique tardive, déjà proche de Gluck. Le célèbre Marmontel a rédigé le livret, d’après une pièce de Rotrou. Hercule est amoureux de sa jeune captive, Ïole, mais reste fidèle à son épouse Déjanire, sur les conseils de son bon ami Philoctète. Il n’échappera pas à un cadeau empoisonné, la fameuse tunique de Nessus, offerte par une Déjanire innocente, et périra sur le bûcher pour finir déifié par Jupiter. Sur cette trame ultra classique, Dauvergne compose une partition imposante, aux épisodes variés. Les deux premiers actes, dans lesquels Hercule n’intervient pas, se signalent par de jolies danses, des airs et des duos ravissants, où se distinguent Véronique Gens et Julie Fuchs, en aimables rivales qui s’ignorent encore. Hercule n’entre en scène qu’à l’acte III : la voix puissante d’Andrew Foster-Williams fait grand effet, tant dans son air initial que dans son duo avec le Philoctète d’Edwin Crossley-Mercer. Les deux derniers actes sont tout à fait dramatiques, centrés sur la mort d’Hercule, d’abord relatée par son fil Hilus. La grande scène finale de mort, introduite par une lugubre marche funèbre avec choeur, impressionnante, suivie d’un long monologue d’Hercule (Alcide au tombeau va descendre) est un grand moment de théâtre. Et la toute fin est bien jolie, lorsque le héros s’adresse à la petite Ïole et lui conseille :
“Princesse, embellissez la terre par vos charmes;
Mais tournez quelquefois vos regards vers les cieux”.
Grands habitués et spécialistes de ce répertoire, Les Talens Lyriques de Christophe Rousset sont aussi attentifs à la trame qu’à son émotion musicale. Parution passionnante donc, qui démontre que la tragédie lyrique n’était pas finissante en 1761, et que Gluck n’était pas si innovateur que cela : certains musiciens français, issus pourtant de l’opéra-comique, lui montraient le chemin.
Bruno Peeters

Son 10 - Livret 8 - Répertoire 9 - Interprétation 10

 

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