Quatrième volet de l’intégrale des Quatuors de Weinberg par les Arcadia

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Mieczyslaw Weinberg (1919-1996) : Quatuors à cordes n° 6 en mi mineur op. 35, n° 13 op. 118 et n° 15, op. 124. Quatuor Arcadia. 2023. Notice en anglais, en allemand et en français. 75’ 43’’. Chandos CHAN 20281.

Lorsqu’il aura mené à terme son projet d’une intégrale des quatuors de Weinberg, qui doit compter six albums, le Quatuor Arcadia rejoindra dans la discographie ses prédécesseurs : le Quatuor Danel (CPO, 2014) et le Quatuor Silésien (Accord, 2022). Fondé en 2006 par des étudiants de l’Académie de Musique Gheorge-Dima, sise à Cluj-Napoca, dans le nord-ouest de la Roumanie, le Quatuor Arcadia (Ana Török et Rasvan Dumitru, violons ; Traian Boala, alto, et Zsolt Török, violoncelle) s’est distingué en 2008 avec une intégrale des quatuors de Bartók (Chandos). Celle qui est consacrée à Weinberg en est à son quatrième volume. Nous avons présenté le troisième le 26 septembre 2023. Onze numéros sont désormais disponibles : 1, 2, 4 à 8, 11, 13, 15 et 16.

Ce quatrième album propose des partitions d’époques différentes, un choix déjà opéré antérieurement. On ne reviendra pas sur la biographie tourmentée de Weinberg, désormais bien documentée. Lorsqu’il compose son Quatuor n° 6, entre le 20 juillet et le 24 août 1946, il le dédie à son ami compositeur Gueorgui Sviridov (1915-1998) qu’il a connu dans l’entourage de son autre ami, Chostakovitch. Deux ans plus tard, l’œuvre, au langage radical, figure au nombre des compositions que le régime soviétique classe parmi les « non conformes ». La notice de David Fanning, auteur d’un ouvrage sur Weinberg en 2010, rappelle que, malgré la levée assez rapide de l’interdiction, celle-ci marquera le compositeur, qui ne produira pas de quatuor au cours des onze années qui suivront. Il n’a pas été non plus joué de son vivant, semble-t-il, et ne sera donné pour la première fois qu’en janvier 2007, à Manchester, par le Quatuor Danel.

De vastes dimensions, quasi symphoniques (trente-cinq minutes), ce n° 6 se révèle audacieux dans sa conception en six mouvements. Très virtuose, l’ensemble, inclassable, est d’une grande difficulté technique et nécessite une maîtrise rigoureuse des couleurs sonores. Entre fluidité et sauvagerie, présentes dans les parties extrêmes, avec des moments lugubres, on découvre aussi deux mouvements dramatiquement brefs, avant un Adagio travaillé et un Moderato comodo à la fois passionné puis apaisé, avec des arpèges bruissants. Une partition qui demande aux interprètes de grandes facultés de concentration et de discipline collective, des qualités que possèdent au plus haut point les Arcadia.

Les quatuors n° 13 (composé entre mai et mi-juillet 1977) et n° 15 (l’écriture occupera les deux premiers mois de 1979) sont postérieurs au décès de Chostakovitch ; on peut les considérer dans la lignée des partitions de ce dernier, avec aussi des liens bartokiens. Ils ont une caractéristique commune : ils ne comportent pas d’indications expressives, mais bien métronomiques. En un seul élan de moins de quinze minutes (le plus court de Weinberg), le treizième, dédié au Quatuor Borodine, se révèle d’une grande complexité émotionnelle, avec des phases atonales onduleuses, un discours tantôt angoissant dans un échange entre le violoncelle et le premier violon, tantôt fusionnel, tantôt fiévreux, mais toujours d’un lyrisme concentré. Une page difficile, tout comme l’est le quinzième quatuor, riche de neuf mouvements brefs, pour une durée de vingt-six minutes, au cours desquelles les sourdines sont utilisées dans plusieurs mouvements, dont le caractère, rythmé et passionné, adopte à chaque fois une texture propre. Ce quatuor est dédié à quatre lauréates russes de concours qui formeront ensuite le Quatuor à cordes de Moscou. 

Le Quatuor Arcadia interprète, dans un engagement incisif et âpre, ces pages dans lesquelles, selon une déclaration commune, il voit une musique pareille à une chaude lumière cernée par l’obscurité de l’inconnu. Toute la complexité de la structure et tout le poids émotionnel qui y est attaché, est traduit, comme dans l’album précédent, par des accents énergiques et une tension ravageuse. Les Arcadia prennent ces partitions à bras-le-corps, dans un investissement souvent bouleversant. On attend les deux derniers albums à venir avec un vif intérêt. Mais il est déjà certain que la lecture globale des Arcadia, au style rigoureux et intensément lyrique, va devenir une solide référence pour ce corpus weinbergien.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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