Que de sang pour une Lucia mi–figue mi-raisin !

par
Lucia

L. Ruiten, A. Hernández © Alan Humerose

Pour ouvrir la saison 2017-18, l’Opéra de Lausanne présente une nouvelle production de Lucia di Lammermoor en faisant appel à Stefano Poda qui a réalisé à la fois mise en scène, décors, costumes et lumières. A mille lieues de l’imagerie traditionnelle d’une Ecosse de la fin du XVIe siècle, sa conception de l’ouvrage transpose à notre époque un univers froid et oppressant où prédomine l’égoïsme masculin. Le socle d’une tour en tubulaires est entouré par un large praticable sur lequel viendra se greffer une gigantesque surface vitrée qui, continuellement, descend puis remonte dans les cintres. En son centre surgira une cage zébrée de taches blanches dont tentera de s’échapper la malheureuse Lucia. Mais le pouvoir tyrannique de son frère et de ses sbires, tous vêtus de noir comme des croque-morts, la condamnera à sacrifier sa vie de femme, avant l’apparition inopinée de celui qu’elle aime et le branle-bas subséquent où tous se mettent à courir sans raison apparente. Le troisième acte a lieu dans un bar au sol laqué, prêt à accueillir une réception mondaine avec des centaines de verres sur le comptoir. Redescend le cube translucide avec Arturo, le mari assassiné dégoulinant de sang, tandis que, sortant du sol comme un Christ aux outrages, paraît une Lucia menue dans une nuisette souillée par le meurtre ; curieusement, au cours de la scène de folie, l’époux semble ressusciter pour quitter le lieu de son supplice. Et c’est Edgardo, prisonnier de la cage du destin, qui s’ouvrira les veines du cou pour que le finale ait jusqu’au bout une dimension ‘trash’ tellement exagérée qu’elle fait rire aux éclats quelques spectateurs non avertis !
En ce qui concerne la musique, il faut d’abord relever que, à la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne et du Chœur de l’Opéra de Lausanne préparé par Jacques Blanc, la baguette de Jesus Lopez Cobos se veut énergique pour bannir tout alanguissement mièvre ; mais sa direction est souvent tonitruante pour une salle aux proportions limitées, obligeant le plateau à souscrire à un forte constant dans toute la première partie. En pâtit, en premier lieu, l’Enrico plutôt fruste d’Angel Odena, jouant les matamores excédés par la paperasserie et produisant un son gras et uniforme ; mais reconnaissons que la plupart des barytons de la discographie de l’œuvre pèchent tout autant en s’inscrivant à la ‘scuola del muggito’ (l’école du mugissement) brocardée par Rodolfo Celletti. Lenneke Ruiten, applaudie à Lausanne en Pamina puis en Almirena de Rinaldo s’empare du rôle de Lucia en y investissant toutes ses forces. Certes, la voix a un grain rocailleux qui peut surprendre dans un rôle dont, récemment, une Mariella Devia, une Patrizia Ciofi ont exhibé la suave fragilité. En début de représentation, sous l’effet du trac, l’aigu sonne dur ; mais au moment où elle aborde la scène de folie, l’émission se libère, le phrasé devient intéressant et prend une résonance envoûtante alors que s’établit le dialogue avec une véritable harpe de verre nichée côté jardin. Parcours identique pour le ténor espagnol Airam Hernandez qui s’apitoie fort peu sur sa destinée tragique avant de réclamer réparation avec des éclats de stentor ; et c’est aussi au tableau final que son declamato corsé s’irise d’inflexions claires et de pianissimi éthérés. Patrick Bolleire possède l’autorité naturelle et l’ampleur de ligne de chant du chapelain Raimondo, alors que, bien pâle, s’avère l’Arturo de Tristan Blanchet, fonctionnels, l’Alisa de Cristina Segura, le Normanno de Pier-Yves Têtu.
Paul-André Demierre
Lausanne, Opéra, première du 29 septembre 2017

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