Récital Luis Fernando Perez

par

© Myriam Florez

Luis Fernando Perez
Ludwig van Beethoven : Sonate n° 14 op. 27 n° 2 - Johannes Brahms : Ballades op. 10 - Isaac Albéniz, Iberia : Evocación - El Puerto - Rondeña - Almería - Triana - El Albaicín

Les amoureux d'Iberia le connaissent et les lecteurs de Crescendo se souviennent peut-être du concert qu'il avait donné l'été dernier avec l'intégrale du chef-d'oeuvre de la musique pour piano espagnole : Iberia d'Albeniz. Concert mémorable. Mercredi soir, Luis Fernando Perez était à la Grande Salle du Conservatoire de Bruxelles pour un récital consacré à Beethoven, Brahms et bien sûr Albeniz. Le premier mouvement de la Sonate "Au clair de Lune" de Beethoven n'est techniquement pas redoutable mais c'est tout de même un défi de débuter un récital par cette oeuvre très connue du public ; la moindre erreur musicale ou technique, et tout le reste du concert peut en être terni. C'est oublier l'aisance de Perez. Tout est sous contrôle, tout chante facilement dans un tempo modéré ni trop lent ni trop vite. Durant toute la sonate, Perez fut d'une grande honnêteté musicale, ne tombant jamais dans le mauvais goût ou dans la démonstration virtuose (troisième mouvement). Rendre intéressante une oeuvre archi-jouée et connue est d'une grande difficulté pour un musicien. Quel musicien ne s'est pas retrouvé "seul" devant une pièce enregistrée des milliers de fois et jouée sans cesse en concert. Comment ne pas sentir le poids des versions passées et pour quelle raison interpréter de nouveau une oeuvre dont la version est peut-être fixée depuis des années ? Perez nous a démontré ce soir là qu'il n'y a pas besoin de faire des choix bizarres pour être intéressant. Jouer simplement et sincèrement suffit et c'est certainement encore plus difficile. Ce pianiste révèle vraiment plusieurs facettes. Autant il a pu être d'une grande sobriété d'interprétation dans Beethoven autant, dans les Ballades de Brahms, il nous a donné une version très personnelle et inspirée. Les tempi sont poussés jusqu'à l'extrême, les couleurs très travaillées et les contre-chants bien mis en valeur. La version de ces quatre oeuvres magnifiques n'a rien à voir avec celles de Zimerman, Sokolov, Michelangeli ou Volondat : mais elle n'a rien à leur envier. Perez a fait un choix d'envisager ces Ballades pour ce qu'elles sont : une oeuvre écrite par un jeune compositeur romantique, profond mais aussi emporté et lyrique. Loin des interprétations froides et racées de certains pianistes qui peuvent confondre profondeur et froideur. Le jeu de Perez est chaleureux, coloré, vivant et risqué. Très risqué même. Du point de vue de la gestique, il ne recule pas devant le fait de prendre certaines notes et accords afin d'obtenir le son voulu ce qui lui vaut parfois quelques scories, mais rien de bien grave car, comme le disait Beethoven, il vaut mieux faire une fausse note avec passion que vouloir assurer une perfection inhumaine et donc dénuée de sentiments. Perez a fait le choix du sentiment. Et ses Ballades furent uniques et marquantes. La deuxième partie du concert fut consacrée à un choix intéressant de la moitié du cycle d'Iberia d'Albéniz. Perez est considéré comme un des grands spécialistes de ce cycle espagnol au même titre qu' Alicia Larrocha, Rafael Orozco ou le pianiste français Olivier Chauzu. Ce qu'il y a de vraiment fascinant chez ce pianiste est de ne cesser d'être musicien et de contrôler parfaitement le son de l'instrument, même lorsque les oeuvres sont d'une difficulté incommensurable. Peu de pianistes maîtrisent à ce point les couleurs de l'instrument. Alors que l'on pense qu'il est allé au bout de la nuance la plus infime, on se rend compte, quelques mesures plus loin, qu'il est capable d'aller encore plus profondément pianissimo. Ilen est de même pour les nuances forte qui semblent venir du sol et non de l'instrument. Le son de Perez est puissant, terrestre et sans effet. Perez ne fait que confirmer ce qu'on savait de lui, il est un des meilleurs pianistes espagnols d'aujourd'hui et devrait accéder à une plus grande notoriété.
François Mardirossian
Conservatoire royal de Musique de Bruxelles, le 19 mars 2014

Les commentaires sont clos.