Reflets polonais des temps tragiques
Joachim Mendelson (1892-1943) : Quatuor à cordes n°1 ; Quintette pour hautbois, piano et cordes ; Grażyna Bacewicz (1909-1969) : Quatuor à cordes ; Quatuor. Silesian Quartet ; Karolina Stalmachowska, hautbois ; Piotr Sałajczyk, piano. 2009-2022. Livret en anglais, allemand et français. Chandos. CHAN 20181.
L’excellent Silesian Quartet poursuit pour Chandos l’exploration du riche patrimoine musical de la musique polonaise du XXe siècle.
Cet album nous permet de redécouvrir la musique du compositeur Joachim Mendelson au destin tragique. Ce jeune homme très doué se forma en Pologne auprès de Henryk Opienski et Felicjan Szopski avant de s’installer à Berlin, puis suivant le conseil de Szymanowski, à Paris. Dans la capitale française, il s’intègre dans le noyau d’artistes polonais qui y réside. Il fréquente Ravel, Honegger et prend des leçons avec Nadia Boulanger. Il est un membre très actif de l’Association des jeunes musiciens polonais. Dans les années 1930, il retourne en Pologne. Il est nommé professeur au Conservatoire de Varsovie et ses compétences en matière de théorie de la musique et d'harmonie sont hautement appréciées. Le compositeur se trouvait à Varsovie lors du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Il est enfermé dans le ghetto et parvient un temps à conserver des activités musicales en étant directeur musical d’un petit théâtre de revue. Il est assassiné en 1943 par un membre de la Gestapo. La tragédie est double car ses documents et manuscrits ont été détruits. Dès lors, les œuvres portées à notre connaissance sont celles qui furent éditées à Paris pendant son séjour en France alors que fruit de la mobilisation des éditeurs et des archivistes, le manuscrit d’une Symphonie de chambre a été retrouvé en Israël tout comme celui d’une chanson conservé dans les archives de l’Association des jeunes musiciens polonais.
Le présent disque nous propose deux partitions des années 1930 : le Quatuor à cordes n°1 dédié au quatuor Roth et le Quintette. Dans ces deux œuvres, on est frappés tant par la maîtrise de l’écriture que par la beauté des climax. On perçoit de multiples influences tant slave par la profondeur des thèmes et des mélodies, que française par la clarté des textures et le brio instrumental. Si le Quatuor n°1 est une très belle œuvre, le Quintette est une merveille. L’oreille est séduite par le ton chambriste et l’utilisation savante d’une instrumentation où le timbre du hautbois colore l’impression générale avec une ironie souvent gouailleuse et folklorique mais toujours élégante et subtile. Le hautbois s’y taille une première place qui devrait motiver les instrumentistes en recherche d’un élargissement de leurs répertoire.
Les deux œuvres de Grażyna Bacewicz proposées en complément sont un miroir pertinent tant les parcours sont parfois communs : tout comme Joachim Mendelson, la compositrice s’est perfectionnée à Paris, également auprès de Nadia Boulanger. Les deux quatuors présentés par ce disque sont des œuvres atypiques et expérimentales que la musicienne n’a pas souhaité intégrer dans son catalogue officiel. Composé à la fin des années 1930, le bref Quatuor n°1 est une partition de jeunesse tardive qui frappe par une atonalité à laquelle se greffent un colorisme chromatique. L’ensemble sonne d’une manière légèrement anguleuse dans une suite de contrastes. Le manuscrit de la partition a été conservé par la Bibliothèque nationale de Varsovie et le Royal String Quartet a pu en donner, en 2021, la première mondiale.
Saut dans le temps avec le Quatuor tardif de 1965. Le ton est plus radical avec une exploration plus minérale du matériel musical construit en strates instrumentales et traversés de clusters saillants. On note une finesse des nuances et une forme d’économie du geste mais dans une transe chorégraphique. Ces deux oeuvres sont un complément intéressants aux autres partitions pour quatuor de cette grande compositrice.
Le Silesian Quartet est excellent et il est idéalement renforcé par le pianiste Piotr Sałajczyk et surtout la hautboiste Karolina Stalmachowska.
Son : 9 – Livret : 10 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10
Pierre-Jean Tribot