Rencontre : Benoît Mernier, une rentrée sous le signe de l’orgue, de la voix et de l’orchestre

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Le compositeur Benoît Mernier sera au cœur du week-end d’inauguration de l’orgue du Palais des Beaux-Arts (15-17 septembre 2017) avec la création de son Concerto pour orgue par l’Orchestre National de Belgique et de ses Dickinson Songs par le Chœur de jeunes et l’Orchestre de La Monnaie. Pour Crescendo Magazine, il s’explique sur ces deux œuvres et le contexte de ce week-end particulier.

En tant que compositeur et organiste, est-ce qu’il y a une portée particulière à recevoir la commande d’un concerto pour orgue pour l’inauguration de l’instrument, tant attendu, du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles ?
Benoît Mernier : Oui ! C’est une joie et un honneur ! C’est naturellement une commande différente des autres car cette création sera spécifique à l’inauguration de l’orgue du Palais des Beaux-Arts. Il faut donc prendre en compte cet aspect !

Justement, quels sont les défis propres à cette commande particulière ?
Il y a plusieurs challenges ! Tout d’abord, une inauguration est un moment festif et donc, avec Olivier Latry (qui sera l’organiste de la création), nous étions d’accord sur la nature « festive » de la partition. Je ne souhaitais donc pas m’orienter vers une partition avec une certaine forme de complexité. Ensuite, il faut tenir compte de la programmation de ce concert car le concerto pour orgue sera la seule œuvre au programme de la soirée qui fera entendre le nouvel instrument. Dès lors, il est important de montrer au public toutes ses couleurs et ses potentialités ! Enfin, il faut considérer que l’instrument n’était pas terminé quand j’ai débuté la composition ! En octobre 2016, quand j’ai commencé à mettre les premières notes sur le papier : soixante-dix pour cent de l’orgue était terminé, mais il restait des domaines à finaliser et parfaire ! Donc, j’ai pu découvrir et entendre la totalité de l’instrument… quand j’avais presque terminé la partition. Ce concerto pour orgue est donc une aventure singulière.

L’orgue du Palais des Beaux-Arts est attendu depuis de très nombreuses années ! En tant qu’organiste, qu’est-ce que représente cette inauguration ?
C’est une très grande joie ! D’autant plus qu’il y a très peu d’orgues de salle en Belgique. À part celui de la Salle Philharmonique de Liège, celui de Bruxelles sera le seul ! Il y a tout un répertoire avec orgue et orchestre que l’on ne pouvait programmer que dans des conditions artistiques imparfaites en recourant à un électronium (orgue électronique) et non un véritable orgue à tuyaux. Le nouvel orgue permettra également de développer les créations. Actuellement, plusieurs orgues de salles ont vu le jour à Paris ou Hambourg et de nouvelles partitions sont commandées à l’image du Concerto pour orgue de Peter Eötvös qui sera donné à Bozar dans le cadre des festivités d’inauguration et puis à la Philharmonie de Paris. Un autre aspect à considérer est le développement de formats de concerts ou d’activités qui ne pouvaient pas être organisés dans des églises, lieux traditionnels de présence des orgues : des concerts de musique de chambre, des concerts-cinémas ou des projets avec de la danse. Tout cela contribuera sans doute à changer la vision du public par rapport à l’instrument qui dans l’imaginaire commun reste associé à sa présence dans les églises.

Vous avez écrit des concertos pour violon et pour piano. Mais cette fois vous écrivez pour votre instrument ? Votre approche est-elle différente ?
Elle est complètement différente et il y a même un renversement assez étonnant. Écrire un Concerto pour orgue me semble beaucoup plus difficile qu’un concerto composé pour un instrument que je ne pratique pas ! Pour le Concerto pour violon, j’ai travaillé avec le dédicataire Lorenzo Gatto qui me conseillait sur la liaison entre l’aspect sonore et l’aspect instrumental. Pour le Concerto pour piano, comme je pratique moi-même l’instrument, c’était assez aisé ; sans oublier qu’il y a de nombreux modèles de concertos qui peuvent nous éclairer sur les solutions techniques trouvées par les compositeurs.
Pour le Concerto pour orgue, même si je connais très bien l’instrument, les difficultés que j’ai rencontrées dans l’écriture ne sont pas d’ordre technique, mais plutôt au niveau du rapport des balances et des couleurs entre l’orgue et l’orchestre. N’oublions pas aussi, qu’à l’inverse du piano ou du violon, les exemples de chefs-d’œuvre pour orgue et orchestre ne sont pas légion. Et je n’avais pas envie de refaire une Symphonie n°3 de Saint-Saëns ou une Symphonie concertante de Jongen. Les problèmes viennent du fait que l’on manipule deux entités assez proches (et donc pouvant rentrer en concurrence) : l’orgue est en effet un peu construit à l’image de l’orchestre mais diamétralement opposées dans leur manière de fonctionner sur le plan expressif. Même dans les grandes réussites telles que le Concerto pour orgue de Poulenc, il y a toujours des problèmes de balance au moment des répétitions, un peu comme ceux que l’on rencontre avec la voix et l’orchestre. Il faut donc toujours adapter ! Au final, je suis assez content du résultat, même si je suis imparfaitement tranquille. Mais, j’ai une totale confiance dans l’équipe artistique : Olivier Latry à l’orgue, l’Orchestre National de Belgique et Hugh Wolff son nouveau directeur musical.

- Parlez-nous de votre autre œuvre au programme de ce week-end : les Dickinson Songs dont la création sera donnée par le chœur de jeunes et l’Orchestre de La Monnaie...
Il s’agit à la base d’une demande du Chœur de Jeunes de la Monnaie et de son chef Benoît Giaux. Nous avions collaboré sur mon premier opéra Frühlings Erwachen et cela c’était très bien passé. Benoît Giaux souhaitait donc une nouvelle œuvre pour chœur de jeunes filles. Ce sera une pièce en sept parties, avec des rythmes différents, d’une durée de trente minutes.

- Comment avez-vous choisi les textes d’Emily Dickinson ?
J’avais plusieurs idées en tête, mais mon choix s’est porté sur Emily Dickinson, auteure américaine de la seconde moitié au XIXe siècle. J’avais très envie de travailler sur des textes d’une poétesse, si possible en anglais car à l’époque, il y avait le projet de reprendre la partition aux États-Unis. Je voulais également des textes qui soient symboliques pour des jeunes filles. De recherche en recherche, je suis tombé amoureux de la poésie d’Emily Dickinson, sorte de modèle par sa personnalité, son indépendance, son haut degré de culture ainsi que par son ouverture et son interrogation sur son temps.  Quelque part, son rapport au monde ne me semble pas si éloigné de celui des adolescentes de notre temps.

- Sur le site Internet de La Monnaie, il est écrit que les Nocturnes de Debussy, également programmés en parallèle des Dickinson Songs ne quittent jamais votre table de travail. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est une formule car ma table de travail n’est pas assez grande pour tenir toutes les œuvres qui m’ont beaucoup apprises ou qui m’influencent ! Les Nocturnes sont la première œuvre de Debussy sur laquelle je me suis penché et que j’ai analysée en profondeur. Debussy, c’est « la révolution subtile » comme le dit le titre d’un livre du compositeur André Boucourechliev. Chez Debussy, la révolution n’est pas un choc ou une rupture, mais une évolution en douceur à travers le timbre, la manière de faire sonner des instruments ensemble et la matière musicale elle-même (le rythme, les hauteurs, l’harmonie, …).

- A part Debussy, quels sont les autres compositeurs qui vous touchent ?
Je peux aussi parler de nombreux compositeurs : ceux que je joue comme interprète (Bach en tête de liste évidemment), ceux qui me stimulent par leur pouvoir d’invention tels que Beethoven, ceux qui simplement me font vibrer ou rêver... Les gens pensent parfois que les compositeurs d’aujourd’hui sont déconnectés de la musique du passé. Il en fut peut-être ainsi à une époque (dans les années 1950), quoique cela relevait plutôt de la posture ! Les compositeurs d’aujourd’hui, même si leur langage n’a rien à voir avec celui des anciens, sont confrontés aux mêmes problèmes : habiter le temps, faire vibrer un instrument ou transmettre un son, construire une langue, un style... Et surtout communiquer de l’émotion… Les questions sont posées différemment et les réponses sont tout aussi différentes, mais les problématiques de base restent les mêmes.

Quels seront vos autres projets après ces deux créations ?
Après deux œuvres avec orchestre de près d’une demi-heure chacune, je souhaite revenir à des projets moins ambitieux en termes de durée et d’effectifs comme de la musique de chambre. J’ai également un projet de collaboration avec l’auteur et poète belge François Emmanuel et la chanteuse Clara Inglese.
J’ai aussi des envies d’un nouvel opéra dont le projet se définit peu à peu avec le metteur en scène Vincent Boussard, mais il n’y a pas encore de perspective claire de production. Je vais également retravailler certaines de mes pièces dont je ne suis pas totalement satisfait, ce que je n’ai encore jamais fait.

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot
Bruxelles, le 28 août 2017

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