Vincent Beer-Demander, explorateur de la mandoline
Vincent Beer-Demander revisite l’image de la mandoline. Non content de jouer les grands chefs-d’oeuvre de son instrument, il ne cesse de développer son répertoire à l’image des récents 24 Caprices pour mandoline solo que lui a composés l’illustre Vladimir Cosma. Vincent Beer-Demander, qui enseigne également au Conservatoire royal de Liège, répond aux questions de Crescendo Magazine.
Pourquoi ces 24 Caprices pour Mandoline ?
En 2014, j'ai commandé à Vladimir Cosma un Concerto pour mandoline et orchestre symphonique que nous avons créé ensemble à Marseille et nous sommes devenus très amis. Il a composé ensuite une Fantaisie pour mandoline et piano, une Suite populaire pour mandoline et accordéon, 16 Duos pour mandoline et guitare et un Tryptique pour quatuor à plectre. La commande des Caprices s'inscrit dans cette suite logique des choses.
L'idée est venue d'un petit arrangement que j'avais fait pour mandoline seule sur le thème de « Rabbi Jacob » pour le jouer en bis à la fin de mes concerts solo. En l'écoutant, Vladimir Cosma a eu l'idée que nous pouvions en faire d'autres. Il en a composé six que j'ai enregistrés sur mon disque Cinéma Mandolino paru en 2017 chez Lyrinx puis, rapidement, nous nous sommes pris au jeu et chaque fois que l'on se retrouvait, on avançait sur tel ou tel caprice. Jusqu'au jour où Vladimir Cosma m'a dit : « On va en faire 24. Comme Paganini ! » C’est amusant car Paganini jouait aussi de la mandoline et il a composé plusieurs œuvres pour elle !
Pour le compositeur comme pour l’interprète, ces Caprices relèvent des défis techniques dans l'écriture et dans l’exécution, et ils sont un vrai challenge ! Ce corpus d'oeuvres est très important pour l'avenir de la mandoline et sa pérennisation à travers un répertoire de qualité et de haute tenue musicale. Au fil des mois, ma démarche est devenue une évidence et je suis heureux que cette proximité avec ce grand compositeur profite aux mandolinistes du monde entier !
Qu’est-ce qui vous a motivé à commander ces 24 Caprices à Vladimir Cosma ?
D'abord, j'adore la musique de Vladimir Cosma. Et quand vous mettez en route un projet aussi ambitieux, qui va vous demander une énergie aussi importante, il vaut mieux que le contenu artistique vous séduise ! Je pense que seul un grand compositeur peut transcender l'instrument et le faire oublier. D'ailleurs, Vladimir Cosma n'écrit pas pour la mandoline, pour la flûte ou l'accordéon, il écrit de la musique pour la musique et cette musique est jouée par des mandolinistes, des flûtistes, des accordéonistes...
Le fait de commander à Vladimir Cosma en 2019, 200 ans exactement après l'édition chez Ricordi des 24 Caprices de Paganini, inscrit cette démarche dans l'histoire de la musique. On ouvre une page et on éclaire de façon singulière cet instrument qu'est la mandoline, à la fois très ancien par son histoire et très nouveau par l’actuel regain d’intérêt qu’il suscite. C'est passionnant !
Parmi tous les compositeurs que j'ai rencontrés, Vladimir Cosma est l'un de ceux qui ont le mieux cerné les possibilités techniques et musicales de mon instrument. Et puis il y a du soleil et de la virtuosité dans sa musique, ce qui convient parfaitement à mon instrument si méditerranéen.
Si l’on se fie à ce que l’on trouve sur le web, vous avez commandé près de 200 oeuvres ! Quel est le moteur de cette envie d’aller de l’avant et d’enrichir le répertoire de votre instrument ?
Je dis souvent à mes étudiants que le meilleur du répertoire est à venir. Quoi de mieux pour un musicien vivant que de jouer les œuvres d'un compositeur vivant avec qui il peut échanger, discuter, voire même suggérer des améliorations techniques qui vont dans le sens de la musique. C'est pareil pour les luthiers, les éditeurs...il faut encourager le vivant !
Ce binôme compositeur/interprète est indispensable et ces deux entités se nourrissent l'une de l'autre. J'adore toutes les musiques, je joue autant Scarlatti ou Beethoven que Calace ou Schoenberg, mais tous ces vénérables musiciens ont vécu à une autre époque et je veux me sentir dans la mienne ! Je ne pourrais pas passer mon existence à jouer du Vivaldi sur une mandoline fabriquée il y a 300 ans.
C'est une position qui ne plait sans doute pas à tout le monde mais il faut avoir le courage d'assumer ses choix artistiques. Et puis je suis moi-même compositeur donc j'ai cette envie de créer, et jouer les musiques des autres enrichit la vôtre. Je n'écris plus la même musique depuis mes dernières rencontres avec Schifrin, Morricone, Legrand, Cosma, Petit, Lai, Bolling, Galliano...
Je travaille aussi avec des éditeurs pour diffuser ces créations mais je n'en oublie pas pour autant le répertoire des siècles passés. J'ai par exemple édité l'intégrale des œuvres de concert pour mandoline solo de Domenico Scarlatti, Gabriele Leone, Raffaele Calace, Francis Thomé…
Vous êtes professeur au Conservatoire royal de Liège. Quel est votre lien avec la Belgique ?
D'abord mon nom et mon passé. J'ai des ancêtres flamands ! Et plus encore que la Belgique, j'adore les Belges qui sont des gens accueillants, drôles, intelligents et ouverts. J'ai eu la chance de jouer avec des ensembles comme l'Orchestre Royal de Chambre de Wallonie ou l'Opéra de Liège et j'ai pris un grand plaisir à partager la scène avec eux. En 2016, j'ai eu l'opportunité de créer cette classe de mandoline au Conservatoire Royal de Liège et je remercie le directeur du domaine musical, Stéphane Demay, ainsi que certains collègues tels que Pierre Henry Xuereb, Hughes Kolp ou Adrien Brogna d'avoir eu cette clairvoyance car en à peine 4 ans, Liège s'est imposée comme l'un des centres européens de l'enseignement supérieur pour la mandoline.
Quand j'ai fini mes cours, il m'arrive d'inviter mes élèves à déguster les fameux boulets liégeois suivis d'une gaufre...le tout arrosé d'une bonne bière brassée. Le bonheur quoi !
- À écouter :
Vladimir Cosma : 24 Caprices pour mandoline solo. 1 CD Larghetto.
Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot
Crédits photographiques : J-B Millot