Rendez-vous sur la lune avec Jacques Offenbach

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Jacques Offenbach (1819-1880) : Le Voyage dans la lune, opéra-féerie en quatre actes. Violette Polchi (Caprice), Sheva Tehoval (Fantasia), Matthieu Lécroart (V’lan, Un Bourgeois, Un Marchand, Un Bourgeois, Un Acheteur), Pierre Derhet (Quipasseparla, Un Forgeron), Raphaël Brémard (Microscope, Un Acheteur, Un Marchand), Marie Lenormand (Popotte, Une Bourgeoise), Thibaut Desplantes (Cosmos, Le Commissaire, Cosinus, Un Marchand), Ludivine Gombert (Flamma, Adja, Une Bourgeoise, Une Forgeronne), Christophe Poncet de Solages (Cactus, Parabase) ; Chœurs et Orchestre national Montpellier Occitanie, direction Pierre Dumoussaud. 2021. Notice en français et en anglais. Texte complet du livret avec traduction anglaise. 150.62. Un livre-disque de deux CD Bru Zane BZ 1048.

La série de livres-disques publiés par le Palazzetto Bru Zane s’enrichit d’un 32e opéra proposé par cette collection de haut niveau. Le nouvel arrivant se distingue par ses qualités discographiques, mais aussi, signature habituelle de l’éditeur, par plusieurs textes explicatifs, très soignés, et l’élégance de la présentation. Offenbach a déjà eu les honneurs de cette vitrine, avec La Périchole et Maître Péronilla. Cette fois, c’est le tour du Voyage dans la lune, une co-production du Centre français de Promotion lyrique (devenu Génération Opéra en novembre 2021), d’une quinzaine de maisons lyriques de l’Hexagone et du Palazzetto Bru Zane. Comme l’explique Alexandre Dratwicki dans l’introduction, le projet a été contrarié par la pandémie, puis reformulé pour des raisons sanitaires : il a fallu opérer plusieurs coupures dont le désagrément musicologique est relativisé par la nouvelle dynamique des enchaînements. 

Ce spectacle, qui est réalisé par Olivier Guedj, va tourner pendant les deux années qui viennent. Il a fait l’objet d’un enregistrement de studio à Montpellier en septembre 2021 ; il permet d’entendre l’intégralité de la musique et les principales scènes dialoguées (raccourcies pour favoriser la fluidité de l’écoute musicale). Deux morceaux inédits, qui se situent au moment de l’arrivée sur la lune, ont par ailleurs été ajoutés au début de l’Acte II. Le livret de cet opéra-féerie est signé par Albert Vanloo, Eugène Leterrier (tous deux ont œuvré aussi pour Charles Lecocq, Emmanuel Chabrier ou André Messager) et Arnold Mortier. La création a eu lieu à Paris, au théâtre de la Gaîté, le 26 octobre 1875. Détaillé par Alexandre Dratwicki, un panorama de la presse de l’époque révèle que l’ouvrage et les artistes furent accueillis triomphalement, mais que des voix s’élevèrent, notamment pour se demander si le temps de l’opérette n’était pas révolu, question qui se posait depuis la défaite de Sedan cinq ans auparavant. Ce qui n’empêcha pas les commentateurs de mettre en évidence les qualités du récit et les enchantements de la partition, et l’opéra d’être représenté près de deux cent cinquante fois en moins de deux ans à la Gaîté puis au Châtelet. On lira avec intérêt ces témoignages, de même que les textes de Jérôme Collomb sur Offenbach, compositeur de féeries, et de Jean-Claude Yon, sur les relations entre Jules Verne et le musicien.

Il faut reconnaître que le livret est habilement troussé, et que les situations cocasses abondent. L’action est amusante et originale : le roi V’lan, le prince Caprice et le précepteur Microscope sont envoyés dans la lune grâce à un obus propulsé par un canon. Ils vont vivre sur l’astre une série d’aventures, comme l’hostilité des autochtones ou la déception de découvrir que l’amour n’existe pas là-haut, les femmes y étant des objets de spéculations. Mais les pommes emportées par les terriens vont modifier la situation : les sentiments de Fantasia, fille de Cosmos, roi de la lune, s’éveillent pour Caprice. D’autres cœurs entrent en transes, y compris celui de Cosmos, dont l’épouse s’intéresse de son côté à Microcosme. Vexé, Cosmos condamne les trois intrépides voyageurs à une peine de prison. Ceux-ci seront libérés par une éruption volcanique qui les ramènera sur terre. Ici, le mélange de l’obus-fusée du roman de Jules Verne De la terre à la lune (1865) avec l’explosion finale dans son Voyage au centre de la terre (1864) crée un lien avec l’écrivain, ce qui ne manquera pas d’inquiéter ce dernier, qui précisera dans Le Figaro qu’il n’a pas collaboré au projet. 

Les dialogues des librettistes sont vifs, et la musique d’Offenbach, qui réutilise parfois en filigrane des thèmes d’autres opéras, est légère, animée et virevoltante ; elle ne néglige pas l’humour ni une élégance qui combine la satire à l’amusement avec beaucoup de finesse. On savourera par ailleurs le délicieux ballet des Flocons de neige, qui est de la meilleure veine du compositeur. L’audition confirme que ce Voyage dans la lune est une partition de grande qualité.

Dans la distribution, on relèvera la prestation remarquable de deux jeunes voix belges. La soprano bruxelloise Sheva Tehoval est une Fantasia délicieusement virtuose, et le ténor namurois Pierre Derhet campe avec brio plusieurs personnages, dont le nommé Quipasseparla, un collectionneur de femmes vouées à la décoration jusqu’à ce que l’épisode des pommes change leur statut. Le baryton Matthieu Lécroart est un impeccable roi V’lan ; la mezzo-soprano Violette Polchi, qui semblait plus à l’aise dans Les P’tites Michu de Messager publié par le même label en 2019, abuse parfois du vibrato et souffre quelque peu dans l’articulation chantée. Les autres comparses, dont certains ont la charge de plusieurs rôles, sont bien en place. C’est le cas du ténor Raphaël Brémard en Microscope ou du baryton Thibaut Desplantes en roi Cosmos. Les dialogues, que l’on peut lire intégralement dans le livret, sont servis avec verve, le théâtre tenant ici une place non négligeable. 

Cette folle aventure, qui réserve des moments désopilants, est menée à chaque instant avec une joie communicative et une verve colorée par le chef français Pierre Dumoussaud, révélé en 2017 par le prix obtenu lors du concours des chefs d’opéra organisé par l’Opéra Royal de Wallonie. Il entraîne à sa suite des chœurs motivés et en bonne forme. De quoi passer plus de deux heures de plaisir musical, bienvenu dans notre quotidien qui en a bien besoin.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 9

Jean Lacroix  

 

   

 

 

 

       



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