Révélation d’une messe majeure du compositeur suisse Benno Ammann

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Benno Ammann (1904-1986) : Missa Defensor Pacis, ad 6-12 voces inaequales in honorem Sancti Nicolai Helvetii Eremitae. Basler Madrigalisten. Direction Raphael Immoos. Livret en allemand, anglais ; paroles des chants en latin et traduction bilingue. Mars 2020. TT 54’20. Capriccio C5415

Dès la fin des années 1960, Benno Ammann se voua à des créations électro-acoustiques dans divers foyers européens et américains (Rome, Varsovie, Utrecht, Gand, New York) : un virage d’avant-garde dans le sillage des ateliers de Darmstadt qu’il fréquentait depuis 1951. Conçue au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la messe « pour le Défenseur de la Paix » est un des opus majeurs du compositeur suisse. Elle couronne la première partie de sa carrière, bien plus conservatrice quoiqu’ouverte sur son temps : études musicales à Leipzig, voyages à Paris où il rencontra Arthur Honegger, Darius Milhaud et Albert Roussel. Ses activités de répétiteur et chef de chœur le prédisposèrent à l’écriture vocale, à une époque où il gravitait dans la région de Bâle depuis 1936 : il y gardera un pied-à-terre, ne fut-ce que pour y héberger ses envahissantes partitions. On lui doit quelques six cents œuvres, si l’on se réfère au catalogue dressé en 2015 par Andreas Schenker. De manière générale, la discographie consacrée au compositeur helvète reste marginale : captations documentaires, ou chez des labels à diffusion confidentielle.

Cette Missa Defensor Pacis fut jouée le 15 mai 1947 à l’occasion des cérémonies de canonisation de Nicolas de Flüe (saint patron de la Suisse et figure mondiale de la paix) par le pape Pie XII. Ce personnage venait aussi d’inspirer à Honegger un oratorio, créé en mai 1941. La commande de cette messe fut stimulée par l’entourage d’Ammann, influent auprès du Saint Siège. Auprès de la Messe pour double chœur (1922-1926) de Frank Martin, elle compte parmi les plus vastes contributions a cappella d’un compositeur suisse. La présentation au public dut cependant affronter quelques étranges vicissitudes, notamment un sabotage de la partition achevée, qui dut être reconstituée à partir de copies manuscrites. Les répétitions furent également perturbées par l’attitude des chanteurs, et le concert souffrit d’une précaire transmission radiophonique. Hormis une exécution en 1948 sous la conduite d’Andreas Weissenbäck, et malgré une publication en 1954, on pense que l’œuvre n’a jamais été donnée depuis sa première audition, avant cet enregistrement chez Capriccio qui se fonde sur l’édition révisée. Le cantus firmus provient d’une litanie qu’Ammann avait découverte à l’Abbaye d’Einsiedeln. Le langage reste tonal et fait fructifier l’héritage des polyphonies franco-flamandes du XVIe siècle. L’Offertoire dérive de la prière Oratio S. Nicolai de Flue, traitée dans une généreuse harmonie qui flattera les oreilles férues de post-romantisme.

Depuis sa création en 1978, le Basler Madrigalisten couvre un large spectre, de la Renaissance jusqu’au répertoire contemporain. Directeur de cet ensemble depuis 2013, Raphael Immoos est lui aussi investi dans la redécouverte de corpus rares, comme l’atteste cette initiative. On ne sait si ce CD permettra aux mélomanes de s’intéresser à l’abondante production du compositeur, en tout cas l’interprétation charnue et impliquée répond aux exigences techniques et expressives de cet opus dignement révélé. Une acoustique plus personnalisée et réverbérée que celle du studio zurichois aurait peut-être projeté un éclat de ferveur supplémentaire.

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 7 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

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