Robuste intégrale des symphonies de Schumann par Marek Janowski à Dresde

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Robert Schumann (1810-1856) : Symphonie no 1 en si bémol majeur Op. 38 ; Symphonie no 2 en ut majeur Op. 61 : Symphonie no 3 en mi bémol majeur Op. 97 ; Symphonie no 4 en ré mineur opus 120. Marek Janowski, Orchestre philharmonique de Dresde. 2021-2023. Notice en anglais, allemand. Digipack deux SACDs 68’12’’ + 62’05’’. Pentatone PTC 5186 989

Comme dans le récent Brahms d’Herbert Blomstedt au Gewandhaus de Leipzig chez le même éditeur Pentatone, Marek Janowski fait partie de ces vétérans qui peuvent se permettre de courtiser la discographie de chefs-d’œuvre maintes fois enregistrés, et de les resservir à l’auditeur qui en connaît déjà un rayon. Privilège de l’expérience, d’une enviable carrière, si ce n’est de l’âge d’un maestro qui fêtera bientôt son quatre-vingt-sixième anniversaire. Pour autant, malgré la caution d’autorité et sauf le respect, l’album Schubert nous avait peu convaincu. Le résultat nous semble plus probant dans ce cycle schumannien, gravé avec la même Philharmonie dresdoise qu’il dirigeait depuis 2019 comme chef principal, un poste dont il a désormais pris congés.

On sait que l’instrumentation du compositeur a longtemps fait débat pour sa supposée maladresse, certains interprètes (comme Gustav Mahler) proposant ouvertement une réorchestration favorisant l’expression mélodique, d’autres s’en tenant à d’empiriques rééquilibrages, pour améliorer la balance entre pupitres et la hiérarchisation des voix polyphoniques. Sous la baguette du chef polonais, plutôt que la coloration de la petite harmonie, ce sont les archets qui mènent le jeu par leur opulence (les deux premières symphonies, d’autant que les micros y flattent la présence des cordes) ou leur tracé impérieux (l’opus 97), laissant hélas passagèrement filtrer quelques menus défauts de cohésion (Lebhaft de la Rhénane).

On avancerait volontiers l’hypothèse que le style qui se dégage de l’écoute synthétiserait une poigne beethovénienne et une ampleur brahmsienne, veillant au climat d’ensemble sans toujours creuser les ambivalences, voire le Schmerz qui imprègne certains paysages affectifs. Ainsi l’Adagio espressivo de l’opus 61, trop sain et survolé, parcouru sans en sonder la profondeur. Ce Schumann vaillant et viril, qui refuse la faiblesse, rappelle Georg Solti à Vienne (Decca). Sauf que le Hongrois ne rechignait pas à quelques candeurs et alanguissements, qui alimentaient le charme de sa « Symphonie du Printemps », là où Janowski excite la sève et privilégie le jaillissement à flux tendu, même hélas dans un Larghetto bien trop hâtif pour en susciter la délicate mélancolie.

Similairement, dans la Troisième, la gestion du tempo congédie toute mollesse du Moderato et du Feierlich, introduit par une grandiose spatialisation des cuivres saxons. Dans le Scherzo, on notera aussi comment la motilité des contrebasses irrigue le choral des bois, illustrant cette cénesthésie de la pulsation qu’invoquait Roland Barthes (Rasch, Paris, Seuil, 1975) : « ce qu'il faut, c'est que ça batte à l'intérieur du corps, contre la tempe, dans le sexe, dans le ventre, contre la peau intérieure ». Un détail qui résume une Rhénane à la fois somptueuse et animée, rayonnante par sa salubrité même.

Les mêmes procédés nous valent une Quatrième exposée avec un soin méthodique : un Lento assai suivi par un allegro plus charpenté qu’effusif, dont l’industrie discipline les élans passionnés. La Romanze consécutive se déroule comme une toilette de routine, sans sécheresse mais sans abandon lyrique. Le Scherzo et l’architecture du Finale sont menés avec souplesse et fiabilité. Même si dans ces deux mouvements on ne retrouve pas la géniale intuition transitionnelle et la construction d’intensité d’un Furtwängler (DG, un disque de légende), on doit convenir que la canalisation des énergies, récusant la stagnation, sont un des atouts qui caractérise Marek Janowski sur l’ensemble des quatre symphonies.

D’évidentes qualités cinétiques rappellent la fluidité de Wolfgang Sawallisch, lui-aussi à Dresde mais avec la Staaskapelle (Emi). Néanmoins, la banalisation de certains phrasés, des nuances dynamiques fréquemment grossies, lissant les villosités de l’intime, relèvent d’une confortable aisance plutôt que d’un geste venu du cœur, tel qu’on le percevait avec Leonard Bernstein à New York (CBS). Dans une sonorité certes plus moderne, et des tournures plus onctueuses, cette intégrale tend à reconduire l’approche des meilleurs Kapellmeister d’hier, honnêtes maçons, non avares de drame (Janowski l’intègre dans ses exposés lucides et volontaristes) mais pas toujours exempts de simplisme. Globalement, ce parcours décevra rarement, enthousiasmera parfois, et convaincra souvent le mélomane qui cherche à ajouter une robuste intégrale à sa collection. Des captations pleines et aérées, auxquelles le SACD apporte un surcroît de finesse et de cohérence scénique, contribueront à séduire la frange audiophile.

Christophe Steyne

Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8,5

Marek Janowski

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