Romances sans paroles de Mendelssohn par Stéphane De May : la simplicité au service de la joie et du lyrisme 

par

Felix MENDELSSOHN : Lieder ohne Worte. Stéphane De May, piano. 2020. Livret en français, en néerlandais et en anglais. 128.44. Pavane ADW 7591/2 (2 CD).

La personnalité chaleureuse et dynamique de Stéphane De May devait aller un jour à la rencontre des Romances sans paroles de Mendelssohn. Tout son parcours l’y invitait. Formé à l’Ecole Normale Alfred Cortot de Paris pour le piano puis au Conservatoire de Rotterdam comme concertiste, c’est au Conservatoire de Mons qu’il a obtenu son diplôme supérieur en musique de chambre. Lauréat de concours internationaux, à l’affiche de nombreux festivals, il enseigne le piano au Conservatoire de Rotterdam et est professeur invité à la HEMU de Sion. Pour le label Pavane, il a enregistré des disques bien accueillis par la critique : Chopin (les deux concertos avec la Slovak Sinfonietta sous la direction de Jean-Bernard Pommier et les Nocturnes), mais aussi de la musique de chambre avec le Trio Portici (Franck, Schumann, Chopin encore). Son répertoire ne se limite pas à la musique romantique, on y trouve aussi Arvo Pärt, Liebermann, Lysight, Janssens, Devreese ou Piazzolla. Mendelssohn a toujours attiré Stéphane De May, comme ce dernier l’explique dans un entretien qui sert de notice (saluons l’idée, toujours judicieuse, de laisser l’artiste parler de ce qu’il joue) ; il a beaucoup interprété sa musique de chambre ou ses concertos. Le pianiste évoque le parcours des Romances qui couvrent près de vingt ans de création, à travers un ensemble de huit cahiers : « On sent une certaine évolution, oui bien sûr, mais surtout une merveilleuse simplicité d’écriture qui est leur point commun. Elles sont très brèves, rarement plus de trois minutes, on n’a pas vraiment la possibilité d’élaborer de grandes tensions dramatiques, il faut aller droit à l’essentiel ; ce qui doit être dit doit apparaître tout de suite. Jamais la composition ne semble avoir fait l’objet d’un effort particulier, d’une élaboration difficile. » Stéphane De May met en évidence la caractéristique principale des Romances, leur « merveilleuse simplicité d’écriture » qui, au fil de cette petite cinquantaine de pièces, tient en éveil l’auditeur grâce à un art de la mélodie sans cesse renouvelé et par un sentiment de plaisir qui les traverse au fil du temps et des pages qui se succèdent.

Le choix de Stéphane De May est chronologique, nous vivons avec Mendelssohn de 1828 à 1845, à travers huit opus de six romances chacun. Il est sans doute utile de préciser, puisqu’il le signale lui-même, que Stéphane De May a enregistré ces recueils (au Conservatoire Royal de Musique de Bruxelles) « à l’approche de la cinquantaine, après une intense période de remise en question et de silence », ce qui l’a amené à « retrouver du sens à travers la musique ». Précision importante : cela signifie en filigrane que cet artiste généreux y a introduit une motivation personnelle dont il faut tenir compte. Nous éviterons ici l’analyse systématique de chaque moment de cette interprétation pour en faire plutôt ressortir l’impression générale qui, à l’intérieur d’un style à la fois raffiné et audacieux, épouse un univers qui dit bien ce qu’il veut exprimer par son seul titre. Car les « paroles » n’en sont pas exclues, elles sont en demi-teinte, elles jaillissent la plupart du temps dans la spontanéité pure et immédiate de la confidentialité. Si nous traduisons bien sa démarche, Stéphane De May en a assimilé toutes les nuances, toutes les douces aspirations, toutes les couleurs changeantes, mais aussi cette sensation d’improvisation chaude et caressante, dans des contextes qui vont du rêve éveillé à l’éveil après le rêve, ce moment si précieux où le chant, enfoui au plus profond du cœur, peut soudain s’élever vers la clarté et se remplir de fraîcheur, de légèreté et de finesse. C’est tout cela que l’on découvre au fil d’une lecture sensible, sans le moindre excès, comme si la parole, absente du titre, était tout intérieure, dans le murmure de l’âme ou dans le silence intime qui berce nos mélancolies, nos joies ou nos solitudes. Celles que Mendelssohn partage, en toute simplicité (le terme est ici fondamental), mais toujours avec un lyrisme discret.

Stéphane De May signe ici un très bel album, avec une grande variété de paysages, délicats, modelés avec soin, un sens esthétique déployé mais maîtrisé ; il « raconte » un ensemble d’histoires que l’on écoute avec un bonheur qui dure un peu plus de deux heures, sans jamais se départir d’un réel sentiment de bien-être. Quand le geste pianistique rejoint la poésie…

Son : 9   Livret : 9  Répertoire : 10   Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

  

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