Rome, 1709 : Haendel affronte Scarlatti aux claviers. Brillant hommage sous les doigts de Cristiano Gaudio

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Händel vs Scarlatti. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Toccatas I, VI, IX, XI [ms de Bergame] ; Sonate en sol mineur HWV 580 (sic, et non 478) ; Suite no 2 en fa majeur HWV 427 ; Chaconne en sol majeur HWV 435 ; Adagio de la Sonate pour violon X en la majeur HWV 372 (transcr.). Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sonates K. 32, 33, 43, 53, 58, 64, 69, 82, 84, 86. Cristiano Gaudio, clavecin. Livret en français, anglais. Août 2020. TT 71’15. L’Encelade ECL 2003

L’an 1685 naquirent trois génies de l’apogée baroque. Johann Sebastian Bach, Georg Friedrich Haendel et Domenico Scarlatti. Ces deux derniers se seraient rencontrés à Venise en 1708 et c’est à eux que nous intéresse ce disque, envisageant leur confrontation organisée l’année suivante par le Cardinal Ottoboni au Palazzo Corsini de Rome. Hélas, et incompréhensiblement, peu de témoignages directs subsistent de ce double-duel, remporté dit-on par le Napolitain au clavecin et par le Saxon à l’orgue. On ignore même le répertoire dans lequel ils s’affrontèrent. Face à ces conjectures, le programme ambitionne de « mettre en lumière le style personnel des deux compositeurs de vingt-quatre ans qui plausiblement présentèrent leurs meilleures compositions, utilisant vraisemblablement aussi des morceaux écrits pour d’autres occasions tout en démontrant leurs incroyables compétences d’improvisateurs ».

Concernant Haendel, l’album s’est penché sur des manuscrits de Bergame (une sélection de Toccatas) et Naples qui pourraient correspondre à sa juvénile période italienne. Précisons que la Suite HWV 427 est erronément indexée en page 3 (le schéma, ici joué comme tel, est adagio-allegro-adagio-allegro et non l’inverse). Précisons aussi que le Larghetto identifié comme HWV 478 (en fait lui une Allemande) est communément affecté au HWV 580 du catalogue. On peut aussi se demander pourquoi conclure le récital par un arrangement, au demeurant fort séduisant, de l’Adagio de la Sonate pour violon en la majeur, lors même que la musicologie a émis des doutes sur la paternité de l’œuvre.

Le versant scarlattien propose dix sonates, la plupart spectaculaires, mais toutes ne sont pas diableries, -on apprécie le choix reposant de la K. 86. Au même âge que les deux concurrents lors de leur match amical, Cristiano Gaudio manifeste une fougue qui dut correspondre aux circonstances, et ne ménage pas sa virtuosité, par exemple dans la flamboyante K. 43 (notée allegrissimo dans la version de Parme) qui concluait l’anthologie de Pierre Hantaï chez Astrée (juin 1992), et qui cède parfois ici, de même que la crépitante K. 33, à une certaine crispation sous les doigts impatients de l’interprète. Lequel livre aussi une lecture plaquée et acariâtre de la K. 64, à comparer avec le port altier d’Andreas Staier chez DHM (février 1991), peut-être mieux fidèle aux nobles manières de cette gavotte. Si l’on suspecterait Cristiano Gaudio de parfois vouloir trop en faire, la grande part de sa prestation ne suscite qu’éloge, clairement articulée (la K. 84), dignement conduite (la fugue K. 58), impeccablement projetée (la K. 53). Il enfièvre les Toccatas par une ardeur revigorante, volontiers percussive. On placera au sommet une Chaconne qu’il émoustille par une enivrante faconde.

Deux instruments de Bruce Kennedy se distribuent ce florilège, l’un d’après Mietke (1702-1704) l’autre d’inspiration italienne, le premier plein et équilibré, le second plus pétillant dont les insolentes harmoniques semblent un brin surexposées par la captation. Voilà en tout cas un stimulant concept, qui tourne en concert (prochaine date imminente, le 13 janvier à Paris). La constitution de cet album et l’interprétation traduisent à leur manière le brio qu’on imagine celui de cette compétition à jamais soumise aux hypothèses. Celles de Cristiano Gaudio lui prêtent un sang vif qui irrigue superbement le fantasme.

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

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